INTERVIEWIl faut «éviter la confusion entre victime et délinquant» d'actes racistes

Agression raciste à Beaune: «La vraie question, c'est comment faire en sorte que ces crimes ne soient pas sous-traités»

INTERVIEWLa nature raciste de l'agression de sept jeunes à Beaune fin juillet a fait réagir le président de SOS Racisme...
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Dans la nuit du 29 au 30 juillet à Beaune, sept jeunes ont été blessés par balles par deux suspects.
  • Règlement de compte ou agression raciste, le doute a longtemps plané, au grand dam des victimes et de certaines associations qui dénonçaient le caractère raciste de la fusillade.
  • Le parquet de Dijon les a finalement mis en examen et écroués dimanche pour « tentative d’assassinat, violences aggravées par (…) notamment la circonstance que les faits ont été commis en raison de l’appartenance à une soi-disant race, religion ou ethnie, réelle ou supposée, injures publiques à caractère racial, menaces de mort à caractère racial ».

Le mobile raciste a finalement été retenu par le parquet. Les deux hommes suspectés d’avoir blessé sept jeunes dans la nuit du 29 au 30 juillet à Beaune (Côte-d’Or) pour des motifs racistes, ont été mis en examen et écroués dimanche à Dijon. Dans cette affaire, selon l’AFP, c’est d’abord la piste d’un règlement de comptes qui avait été privilégiée. Avant que le procureur adjoint de Dijon ne précise qu'aucune piste n'était exclue.

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Cette reconnaissance du mobile raciste, dénoncé depuis le début par les victimes et leurs familles, était réclamée depuis plusieurs jours par SOS Racisme. Dans un communiqué, l’association dénonçait «la sous-estimation systématique de la dimension raciste des agressions » contre certaines personnes et le silence des médias. Dominique Sopo, président de SOS Racisme, s’en explique auprès de 20 Minutes.

Pourquoi étiez-vous sûrs qu’il s’agissait d’une agression raciste ?

Notre comité est allé sur le terrain rencontrer les familles, les habitants et il est apparu très rapidement qu’il ne s’agissait pas d’un règlement de comptes et que des propos racistes avaient été tenus avant la fusillade. Les suspects ne sont sans doute pas venus pour « casser du bougnoule » comme on dit, mais dans le déclenchement de leur fureur, le fait que ces jeunes soient d’origine maghrébine a joué. Ce qui est très désagréable pour les jeunes, c’est cette impression de ne pas être cru, entendu et même d’être soupçonné. Car quand on évoque un réglement de comptes, ces jeunes ne sont plus traités comme des victimes, mais comme de potentiels délinquants, qui auraient une part de responsabilité. C’est une deuxième violence à leur égard.

Vous vous êtes ému la semaine dernière du traitement judiciaire de cette fusillade de Beaune, est-ce qu’on fait face à une véritable stigmatisation ou une simple prudence de la part de la justice ?

Je pense qu’il y a eu de la part de la communication de la justice beaucoup de maladresse : ils ont tout de suite avancé la piste du règlement de comptes avant de se rétracter pour dire on ne sait pas, l’enquête parlera. Or, aucun élément n’a été avancé pour attester que c’était un règlement de comptes. Il nous a semblé que cette conclusion émanait d’une vison faite de clichés. Les règlements de compte, ça existe, malheureusement. Mais tous les témoignages concordent pour dire qu’il s’agissait cette fois d’une agression raciste. Le maire et les habitants du quartier l’ont répété, les militants de SOS Racisme et moi-même l’avons constaté, il s’agit d’un quartier tranquille. Ces mots, jeunes, règlements de comptes, quartiers, cela déclenche tout un imaginaire dans l’opinion publique. Et on voit comment la fachosphère s’est une fois de plus illustrée en parlant de « racailles »… Les clichés habituels resurgissent et sont exploités par certains.

Vous avez également dénoncé le faible écho médiatique, pourquoi selon vous, y-a-t-il eu peu de relais ?

Le fait que le parquet soit dans une hésitation, cela détourne les médias de la piste raciste. Mais il y a autre chose. Un autre exemple en atteste. Il y a quelques semaines, Saïd El Barkaoui, père de famille d’origine marocaine, abattu dans son jardin à Ychoux, aux cris de « mort aux arabes ». L’écho médiatique a été quasiment nul. Là, ça pose une question aux médias sur cette sous-estimation des crimes racistes, car il n’y avait pas de doute sur la communication de la justice sur le mobile raciste. Et ce silence médiatique n’est pas neutre. Le racisme, ce n’est pas du fait divers. Ces crimes racistes, il faut les condamner, les analyser, les médiatiser. Si on laisse se développer les pulsions racistes, on risque de réagir trop tard.

Est-ce que le faible écho, que ça soit dans la population ou dans les médias n’est pas lié à la saison, on est au cœur du mois d’août…

En partie, oui. Des rédactions vides ont plus de mal à envoyer un correspondant et vont davantage se baser sur les déclarations du procureur. Mais Saïd El Barkaoui a été assassiné en juin, et là il n’y avait pas l’excuse de la saisonnalité…

Certains mettent en parallèle la marche blanche et le vif émoi suscité par le meurtre de Mireille Knoll, rapidement qualifié de crime antisémite et la prudence face à cette fusillade à Beaune, est-ce pour vous une comparaison qui a du sens ?

On peut toujours trouver des éléments singuliers. Mireille Knoll, c’était une femme âgée, rescapée de la Rafle du Vel d’Hiv, le crime se passe à Paris. Il n’y a donc pas besoin d’envoyer un journaliste en province, ce qui compte à mon avis… Après, il faut bien voir qu’une partie de l’émotion créée autour de ce genre de crimes vient de la façon dont les réseaux sociaux vont s’en saisir de façon malveillante. Certains ne vont pas dénoncer le meurtre de Mireille Knoll ou par exemple d’Adrien Perez [tué à la sortie d’une boîte de nuit à Grenoble le 29 juillet ] mais vont s’en servir pour dire « regardez, la racaille tue ». Il ne faut pas tomber dans le piège de dire quand c’est des juifs qui sont pris pour cible, on en parle davantage. Cela n’est pas complètement faux, mais la France a une histoire particulière avec l’antisémitisme, avec le régime de Vichy qui laisse une mauvaise conscience… On ne peut pas dire il y a deux poids, deux mesures, car il n’y a pas d’équivalence. Le problème, ce n’est pas qu’on parle trop des actes antisémites ! L’Histoire montre à quel point il est important de les condamner. Mais on pourrait parler davantage des crimes contre les populations arabes et d’Afrique subsaharienne. C’est une vraie question pour nous, associations : comment faire en sorte que ces crimes racistes créent plus d’émoi et ne soient pas sous-traités politiquement et médiatiquement ? Il existe dans notre pays une grande peur du changement, on le voit avec le vote frontiste important, les propos sur le grand remplacement… Ce qui rend cette question difficile à traiter sereinement.

SOS Racisme a organisé vendredi sur les lieux des tirs une manifestation. Que souhaitent les habitants de ce quartier de Beaune ? Vous parliez notamment d’un besoin d’accompagnement psychologique…

Ce drame a été très déstabilisant pour les victimes. Les suivis psychologiques ont commencé à se mettre en place. Mais sur la base du volontariat et non à la suite d'une initiative des pouvoirs publics. Ces habitants sont des personnes très calmes, très dignes qui demandent seulement que justice soit faite. Et d’éviter toute confusion, par sous-entendus ou par paresse, entre victimes d’agression et délinquants. De toute évidence, les familles que nous avons pu joindre étaient soulagées par la reconnaissance du mobile raciste. Et SOS Racisme va se porter partie civile.