Attentats du 13-Novembre: Un coup d'accélérateur donné à l'enquête?
JUSTICE•En moins d'une semaine, deux nouveaux suspects ont été mis en examen en France dans le cadre de l'enquête sur les attaques de Saint-Denis et Paris le 13 novembre 2015...Hélène Sergent
L'essentiel
- Le 5 juin, Yassine Atar, 31 ans, suspect belge a été transféré en France et mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », et pour des « complicités de séquestration, d’assassinats et de tentatives d’assassinats terroristes en bande organisée ».
- Lundi 11 juin, un autre suspect clé, Osama Krayem a été brièvement remis à la France et lui aussi mis en examen par les juges antiterroristes du parquet de Paris notamment pour « complicités d’assassinats », de « tentatives d’assassinats et de séquestration en relation avec une entreprise terroriste ».
«La relation entre les services belges de renseignement et leurs homologues français a atteint un niveau de confiance et de transparence inégalé », s’est réjoui lundi le Premier ministre français face à son homologue belge. Le même jour, le parquet de Paris annonçait la mise en examen d’un suspect clé, Ossama Krayem, dans l’enquête sur les attentats du 13-Novembre menée par six magistrats antiterroristes.
Une semaine plus tôt, un autre individu, Yassine Atar, avait été remis à la France par la Belgique, en vue de son inculpation dans ce tentaculaire dossier des attentats de Paris et de Saint-Denis. Après deux ans et demi d’investigation, la plupart des acteurs de la procédure saluent le travail commun mené d’un côté comme de l’autre de la frontière.
D’autres en revanche fustigent la complexité de deux enquêtes, celles des attentats de Paris et celles des attentats de Bruxelles, menées par deux juridictions distinctes et qui visent toutes deux une seule et même cellule djihadiste.
Pas « d’inquiétude »
Dans l’ombre du très médiatique Salah Abdeslam, dix individus ont également été mis en examen dans la seule procédure française et trois personnes seraient également visées par un mandat d’arrêt dans le cadre de cette enquête. Certaines sont toujours détenues en Belgique et d’autres ont été remises à la France en vue de leurs auditions par les juges parisiens.
Une coopération saluée par l'avocate d'une trentaine de victimes et de familles des victimes du 13-Novembre, Samia Maktouf. « Il y a eu une nette évolution depuis 2015 et elle a porté ses fruits avec plusieurs mises en examen. Les juges ont mis en lumière tout un réseau de personnes impliquées de près ou de loin, de la fabrication des faux papiers à l’acheminement des armes », se félicite l’avocate.
Un constat partagé par Philippe Duperron, président de l'association 13onze15 : « Sur l’avenir de la procédure, je ne suis pas inquiet. Le récent transfert de Yassine Atar [un Belge soupçonné d’avoir eu entre les mains la clé d’une planque de la cellule djihadiste] montre qu’il y a bien une collaboration entre les deux pays ». Depuis 2015, plusieurs équipes d’enquête communes participent aux investigations et un magistrat de liaison a été nommé en 2016 pour « fluidifier » les échanges entre les deux Etats.
« C’est du grand cafouillage »
L’ouverture de part et d’autre de la frontière, d’enquêtes distinctes en lien avec les attaques de Paris puis de Bruxelles ne serait pourtant pas si simple à appréhender. En février dernier, les avocats belges de Salah Abdeslam et de Sofien Ayari qui comparaissaient pour une fusillade survenue dans une des « planques » de la cellule djihadiste après les attentats de Paris, avaient exhorté les juges à dissocier les faits reprochés des attaques terroristes.
A Paris, l’avocat français de Mohamed Abrini, l’un des « suspects clés » dénonce une situation « ubuesque ». « C’est du grand cafouillage. La connexité entre la procédure belge et la procédure française soulève de très nombreux problèmes. On ne peut pas juger deux fois un individu pour les mêmes faits, or mon client est aujourd’hui poursuivi par la Belgique et par la France pour la même chose ce qui va à l’encontre des principes de notre droit », dénonce Emmanuel Pierrat.
En France, nul ne peut être traduit deux fois devant une juridiction répressive pour des faits identiques, c’est la règle du non bis in idem. Mais pour Samia Maktouf, il n’est pas question ici de juger Abrini ou Abdeslam pour la même chose dans deux pays différents : « Ce ne sont pas les mêmes qualifications dans un dossier et dans un autre et les faits ne se déroulent pas sur le même territoire à la même période donc ça ne posera pas de problème », assure l’avocate.
Départ du juge d’instruction
Refusant de voir dans ces nouvelles mises en examen une « accélération » particulière dans les investigations, une source judiciaire rappelle que les juges d’instruction espèrent clore leur enquête au printemps 2019. D’ici là, les magistrats rencontreront une nouvelle fois les milliers de parties civiles le 12 juillet prochain pour faire un point sur l’enquête. Ce sera la dernière rencontre entre le juge Christophe Teissier, aujourd’hui à la tête de l’instruction, et les victimes des attentats de Paris et Saint-Denis. Le ministère de la Justice a décidé de le nommer Président de la chambre de l’instruction à Nîmes (Gard) à compter du 1er septembre prochain.
Un départ qui suscite une certaine inquiétude selon Samia Maktouf : « Même si les institutions franco-belges travaillent en harmonie, ce changement à la tête de l’instruction est source de stress et beaucoup se posent des questions : est-ce que ça ne va pas faire repartir l’instruction à zéro ? J’espère que ça n’aura pas de conséquences et je rassure mes clients en leur disant qu’il y a sur cette enquête six magistrats, tous très compétents ».