«Aquarius»: «L'état de fatigue et de stress à bord peut mener à la catastrophe»
ENTRETIEN•Antoine Laurent, responsable des opérations maritimes de l’ONG, nous raconte les trente-six heures de confusion autour du sort des 629 migrants à bord de l'« Aquarius »…T.L.G.
L'essentiel
- Les 629 migrants secourus au large de la Libye par l’«Aquarius», un navire humanitaire affrété par l’ONG SOS Méditerranée, vont finalement rejoindre l’Espagne.
- 20 Minutes a interrogé un responsable des opérations maritimes de l’ONG.
Après plusieurs jours d’attente en mer, le dénouement est proche. Les 629 migrants secourus au large de la Libye par l’Aquarius, un navire humanitaire affrété par l’ONG SOS Méditerranée, vont finalement rejoindre l'Espagne avec l’aide de deux bateaux italiens. Antoine Laurent, responsable des opérations maritimes de l’ONG, nous raconte les trente-six heures de confusion autour du sort des naufragés.
Quelle est la situation actuellement à bord de l’Aquarius ?
L’estimation des stocks de nourriture a été faite. On n’aurait pas pu tenir beaucoup plus longtemps sans ravitaillement. Finalement, grâce à l’aide de Malte, et de l’Italie, qui nous ont fourni des équipements et des vivres, nous pouvons tenir une journée de plus. C’était compliqué, car certains rescapés sont restés en mer pendant presque vingt-quatre heures, dans des confitions de navigation difficiles. Même les personnes les plus robustes ne peuvent tenir longtemps ainsi.
L’état de fatigue et de stress peut potentiellement mener à la catastrophe. Il faut imaginer 630 personnes sur un pont de navire de 80 mètres, en plein soleil, à ne manger que des biscuits énergisants d’urgence… Il n’y a aucune intimité, le niveau d’hygiène n’est pas exceptionnel. L’Aquarius est initialement conçu pour le sauvetage d’urgence. Ce n’était pas tenable longtemps.
Comment va se passer l’acheminement vers l’Espagne ?
Après deux jours de mer et l’accumulation de la fatigue, il était impensable de partir en Espagne sans s’assurer que les conditions de sécurité étaient réunies. C’est-à-dire, avoir été ravitaillés et allégés. L’Italie a tout de même accepté de transférer une partie des personnes sur deux navires militaires. Il y a actuellement des discussions pour organiser le transfert en Espagne. Les bateaux devraient partir cet après-midi pour arriver vendredi.
Comment ont été reçus les refus de l’Italie et de Malte d’accueillir l’Aquarius ?
On anticipait ce scénario, ce n’est pas une grande surprise, même si c’est extrêmement préoccupant. Cela montre de manière concrète le manque de solidarité à l’échelle européenne… On laisse un bateau trente-six heures à la dérive avec 629 personnes à bord, c’est inacceptable ! A bord, les choses se sont faites doucement. Il y a d’abord eu une longue attente, puis il a été expliqué aux rescapés que les choses étaient sous contrôle. Nous avons quand même eu une personne qui a sauté à l’eau par peur de revenir en Libye. Heureusement, notre équipage [de 35 personnes] à bord de l’Aquarius est très expérimenté.
Certains politiques français, au RN, ex-FN, ou chez Les Républicains, ont critiqué votre action et refusé d’accueillir l’Aquarius. Quelle est votre réaction ?
Je note que certains envisagent de renvoyer les gens en Libye, ce qui est d’ailleurs déjà fait en partie par l’Union européenne. Il faut quand même être un peu au courant de ce qu’il se passe dans ce pays : c’est un enfer total, absolu. C’est un pays sans droits, sans lois, sans police, sans justice avec un trafic d’êtres humains… Proposer ça, c’est une complicité de crime. Notre action se veut apolitique. On se rattache simplement au principe de solidarité en mer et en droit maritime.
Sur la question de l’accueil des migrants, l’Europe est-elle en train de changer ?
Nous recevons une quantité monstrueuse de messages de soutien de la population en Europe, admirative de ce que fait l’Aquarius. Ceux qui prennent la mer ne demandent qu’une chose, c’est la sérénité. Les flux migratoires datent depuis le début de l’humanité, ce phénomène devient une crise quand il est géré de manière chaotique. Aujourd’hui, l’étranglement des flux met sous pression les régions au sud de l’Europe, et fait exploser la colère. Tant que cette question n’est pas considérée à l’échelle européenne, elle sera un problème. En mer, il faut ensuite un déploiement de sauvetage et non pas un contrôle militaire des frontières.