Uniforme à l’école : « Il n’y a jamais eu de vêtement obligatoire dans les écoles publiques, c’est une légende »
INTERVIEW•L’historien spécialiste de l’éducation Claude Lelièvre déconstruit le mythe de l’uniforme à l’écolePropos recueillis par Nicolas Raffin
L'essentiel
- La ville de Provins s’est prononcée pour une expérimentation de l’uniforme à l’école dès l’année prochaine.
- Pour Claude Lelièvre, l’uniforme n’est pas un moyen pour aller vers plus d’égalité.
- L’historien rappelle qu’il n’est pas facile d’imposer une telle mesure.
Edit du 12 janvier 2023 : Alors qu’une proposition de loi RN doit être examinée à l’Assemblée nationale, Brigitte Macron s’est dite « pour le port de l’uniforme à l’école » dans une interview accordée au Parisien. L’uniforme à l’école revenant ainsi sur le devant de la scène, nous vous proposons la relecture de cet article.
Le débat sur « l’uniforme » à l’école semble inépuisable. Après Xavier Darcos en 2003 puis 2009, François Fillon en 2016, c’est au tour de Jean-Michel Blanquer de s’exprimer sur le sujet. Invité à commenter l’initiative de la ville de Provins, qui va expérimenter l’uniforme l’année prochaine, le ministre de l’Education a jugé que « dans certains cas, ça peut être utile, mais ça ne peut marcher que s’il y a un certain consensus local ».
Il n’en fallait pas plus pour que de nombreux médias évoquent le « retour de l’uniforme » à l’école. Or, comme le rappelle l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, cette croyance en un vêtement égalitaire est un mythe qui ne repose pas sur une réalité historique.
Peut-on vraiment parler d’un « retour » de l’uniforme ?
Il faut bien distinguer le privé et le public sur ce sujet. Dans le privé, il y a toujours eu des uniformes. Il s’agit souvent d’établissements huppés, qui veulent se distinguer des autres. Dans le public, c’est différent. Il n’y a jamais eu de vêtement obligatoire dans les écoles publiques, c’est une légende. Ce qui existait, c’était un usage de blouses disparates pour se protéger des taches d’encre. Cela permettait de faire des économies sur le budget habillement, qui était déjà élevé.
L’uniforme permet-il plus d’« égalité », comme le laisse entendre Jean-Michel Blanquer ?
C’est absolument faux. Derrière cette idée d’égalité, il y a en fait le rêve que l’uniforme va permettre de revenir à une école sanctuaire, qui échappe aux séductions de notre monde. Depuis des décennies, on se demande comment maîtriser les jeunes, comment les canaliser. Une des voies c’est l’internat, le retour à la dictée tous les jours, ou encore l’uniforme.
Tout ça c’est du mythe, et les mythes prospèrent quand on veut se rassurer, quand on veut se raccrocher à des éléments d’un soi-disant passé pour se protéger des angoisses du temps présent. C’est un symptôme de maladie sociale. Et ce n’est pas l’uniforme qui va guérir cette maladie. C’est juste une façon de masquer les inégalités ou bien plus simplement, pour un certain nombre de parents, cela permet de contourner la course aux habits coûteux. Ce n’est pas parce qu’on est vêtu de la même manière que les différences sociales disparaissent.
Pourquoi le port de l’uniforme n’a-t-il jamais été imposé, malgré les nombreuses déclarations en ce sens ?
Parce qu’au moment où il faut franchir le pas, il y a des difficultés nouvelles qui apparaissent, donc on n’impose rien. Par exemple, si on décide d’imposer l’uniforme : quel type d’uniforme choisit-on ? Est-ce le même pour les garçons et les filles ? Qui doit le payer ? Les établissements huppés auront-ils le droit d’avoir une tenue plus « chic » ? Ne rien trancher permet de ne pas endosser la responsabilité d’imposer une mesure.