Fronde contre Parcoursup: Pourquoi les lycéens ne se mobilisent pas?
EDUCATION•Les lycéens sont encore peu nombreux dans les manifestations contre la loi d’accès à l’université…
Delphine Bancaud
L'essentiel
- Les blocus de lycées sont rares et peu d’élèves participent aux manifestations contre la loi Vidal.
- Car une partie des lycéens voient avec soulagement la suppression du tirage au sort à l’entrée des filières universitaires en tension et ils sont plus préoccupés par la préparation de leur bac que par la réforme.
- Cette absence de mobilisation témoigne aussi d’une dépolitisation de la jeunesse. Mais l’étincelle pourrait avoir lieu, notamment si les lycéens sont déçus par Parcoursup.
«Ce jeudi, il y a eu un barrage filtrant des élèves au lycée Jules Ferry, c’est tout ». Notre coup de fil au rectorat de Paris pour mesurer la température dans les lycées concernant Parcoursup est révélateur : le mouvement de contestation des nouvelles règles d’accès à l’université ne prend pas dans les lycées. « Ces dernières semaines, il y a bien eu quelques sittings ou quelques blocages d’établissements pendant quelques heures, mais cela n’a concerné à chaque fois qu’un ou deux lycées », explique-t-on au rectorat.
Et à l’échelle de la France, l’étincelle n’a pas eu lieu non plus : « La semaine dernière, des blocus ont été organisés dans une quarantaine de lycées à Caen, Dax, Marseille, Rennes, Nantes, Montreuil… Mais le 10 avril, jour de manifestations, seulement une dizaine de lycées étaient bloqués car la zone A était déjà en vacances », reconnaît Nathan Le Potier, secrétaire général du syndicat de lycéens UNL-SD. Une situation qui surprend IHugo Melchior, doctorant en histoire contemporaine à l’université de Rennes-II : « Le plus étonnant c’est que les bacheliers professionnels et technologiques ne se mobilisent pas, alors que ce sont eux qui risquent d’avoir le plus des vœux en attente sur Parcoursup », estime-t-il. « Par ailleurs, en 1986 les lycéens ont joué un rôle décisif contre la loi Devaquet, qui recelait une réforme analogue à celle d’aujourd’hui », poursuit-il.
Le soulagement de voir enterrer le tirage au sort
De là à interpréter cette absence de contestation comme une forme d’adhésion à la loi sur l’orientation et la réussite des étudiants (ORE), il n’y a qu’un pas que franchit Youenn Michel, maître de conférences à l’Université de Caen et spécialiste de l’histoire de l’éducation : « Un sondage de L’Etudiant montre que 55 % des élèves se prononcent en faveur de la réforme. Et ce, parce qu’ils ont compris que la sélection n’allait s’opérer que dans les filières en tension. Par ailleurs, beaucoup d’entre eux estiment qu’il vaut mieux une sélection objective sur dossier qu’un tirage au sort injuste comme celui qui existait avec APB », estime-t-il. « Il est vrai que la compétition entre lycéens à l’entrée de l’université choque moins qu’il y a 30 ans », renchérit Hugo Melchior.
Mais pour Nathan Le Potier, le silence des lycéens ne vaut pas adhésion : « Sur le terrain, quand on discute avec les lycéens lors des opérations de tractage, beaucoup nous disent qu’ils n’approuvent pas la réforme, qu’ils ont rencontré des difficultés pour valider leurs vœux sur la plateforme, qu’ils ont le stress de ne pas obtenir d’inscription à la fac ».
Ils sont plus préoccupés par leur bac
D’autres facteurs expliquent aussi la faible rébellion des lycéens contre un texte qui les concernent : « L’effet calendrier joue aussi car les élèves préparent leur bac et ne veulent pas se battre sur plusieurs fronts », constate Youenn Michel. « Et dans un contexte où la pression scolaire est très forte, les lycéens rechignent à rater des cours pour se rendre à une manifestation », ajoute Hugo Melchior.
Certains représentants des lycéens estiment aussi que les proviseurs ont dissuadé les jeunes à descendre dans la rue. « Dans certaines villes, des chefs d’établissements se concertent pour caler des bacs blancs les jours de manifestations, afin de dissuader les lycéens de s’y rendre », affirme ainsi Nathan Le Potier. « Et les jours précédant une manifestation, les proviseurs alertent les parents sur Pronote. Du coup, ces derniers font pression pour que leurs enfants aillent bien en cours », poursuit-il. Certaines voix syndicales s’élèvent aussi contre les équipes mobiles de sécurité envoyées selon elles, pour lever des blocus dans certains établissements.
« Il existe une forme de dépolitisation de la jeunesse »
Mais ne faut-il voir aussi en cette absence de mobilisation des lycéens une crise de l’engagement de cette génération ? « Il existe une forme de dépolitisation de la jeunesse. Et l’on constate que les jeunes ne se mobilisent que lorsque le motif d’une manifestation est facilement cernable. Si la mobilisation contre le CPE a bien fonctionné, c’est que ce contrat était considéré comme discriminant pour les jeunes. Dans la loi ORE, les motifs d’inquiétude sont plus flous », estime ainsi Youenn Michel. « Il n’y a pas assez de ressources politiques dans les établissements pour que les lycées se mobilisent. Car les enseignants sont rares à le faire et les organisations lycéennes ne sont pas toujours visibles », relève aussi Annabelle Allouch, enseignante-chercheuse en sociologie à l’université de Picardie-Jules-Verne. Par ailleurs, selon elle, « un lycéen ne se mobilise pas de la même manière qu’un étudiant. Il le fait s’il a l’impression de maîtriser le sujet et qu’il se sent légitime pour en parler. Or, pour l’heure, ce sont surtout les étudiants qui sont montés au créneau médiatique ».
Mais pour Nathan Le Potier, ce qui pêche, c’est surtout la faible marge de manœuvre des organisations lycéennes : « A L’UNL-SD, nous fonctionnons avec peu de moyens, soit 50.000 euros annuels de budget. Du coup, nous ne sommes pas des machines de guerre en termes de communication ». L’UNL n’a cependant pas dit son dernier mot : « On s’apprête à diffuser 200.000 tracts, on va appeler à manifester le 19 avril et on va publier des vidéos décryptant la réforme sur les réseaux sociaux. On pense souvent à Mai 68 et on se dit que tout est possible », annonce Nathan Le Potier.
« Cette réforme est une bombe à retardement »
Outre ces tentatives pour mobiliser les foules, d’autres éléments pourraient mettre le feu à l’étincelle : « On peut supposer que lorsque les premiers résultats de Parcoursup vont tomber et que certains lycées seront déçus, cela pourrait attiser leur colère contre la réforme », estime ainsi Annabelle Allouch. « Il suffirait qu’une bavure policière soit commise pour mettre le feu aux poudres », complète Youenn Michel.
Hugo Melchior estime aussi que le gouvernement ne peut pas dormir sur ses deux oreilles. « Cette réforme est une bombe à retardement. Il est tout à fait possible qu’elle explose l’an prochain, une fois que les lycéens auront pu constater les bugs de Parcoursup. S’ils ont l’impression d’être la génération crash test, il est fort possible qu’ils descendent dans la rue pour demander au gouvernement de réviser les règles du jeu », indique-t-il.