Travail sur le brouillon, textes rédigés en groupes... Comment améliorer l'expression écrite des élèves français?
EDUCATION•Le Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco) dévoile ce mercredi ses recommandations pour donner aux élèves le goût d’écrire…Delphine Bancaud
L'essentiel
- Les élèves français font preuve de réticences à écrire car ils maîtrisent mal la langue et sa construction (orthographe, grammaire), et que le temps et la fréquence des travaux écrits sont trop faibles en primaire.
- Pour améliorer leurs performances, il faut multiplier les exercices rédactionnels et ce, dans toutes les disciplines.
- Articuler la production de textes avec l’étude de la langue semble aussi nécessaire. Faire de l’écriture une activité collective permet aussi de faire progresser les élèves.
Le fait d’être né dans le pays de Proust et de Paul Eluard ne leur a pas donné le goût d’écrire. Les élèves français n’ont pas la plume facile, comme le révèle une étude du Conseil national de l’évaluation du système scolaire (Cnesco), rendue publique ce mercredi. Selon celle-ci, lorsqu’ils sont sollicités pour produire des textes, 40 % des élèves de 3e ne rédigent peu, voire pas du tout. Des difficultés qui ne se manifestent pas qu’en cours de français, mais aussi dans d’autres disciplines. Une étude portant sur un cours d’histoire géographie de 3e a ainsi montré que 60% des élèves n’ont pas su rédiger un texte cohérent à partir d’une liste de mots donnée.
S’ils ne sont pas à l’aise devant une feuille blanche, c’est tout d’abord par ce qu’ils rencontrent des difficultés croissantes en orthographe et en grammaire, explique Nathalie Mons, la présidente du Cnesco : « les compétences des élèves en maîtrise de la langue se sont dégradées depuis trois décennies. Exemple : sur une dictée de CM2 comprenant 67 mots, les élèves font en moyenne 18 erreurs ». L’école a bien évidemment sa part de responsabilité : « Le temps et la fréquence des travaux écrits sont trop faibles en primaire, surtout au regard des activités consacrées à la lecture », poursuit-elle. Autre souci selon la sociologue : « l’écrit est trop souvent utilisé comme outil d’évaluation. Ce qui entraîne une forme d’appréhension des élèves par rapport au rédactionnel ». Et les exercices proposés aux élèves autour de l’écrit manquent souvent d’originalité. « Il faut dire que 40 % des enseignants de CM2 n’ont pas eu de formation spécifique en langue française et à la manière de l’enseigner », souligne-t-elle.
Articuler la production de textes avec l’étude de la langue
Si la situation est grave, elle est loin d’être désespérée et il existe des solutions pour donner aux élèves français le goût d’écrire. « Le premier impératif est d’élaborer des programmes scolaires cohérents et stables fixant des orientations claires concernant la production de l’écrit. Car entre 2002 et 2015, quatre programmes scolaires de primaire abordant l’écriture se sont succédé », estime Jean-Paul Bronckart, professeur honoraire en didactique des langues à l’université de Genève. L’initiation des élèves à l’écrit doit aussi se faire très tôt, estime Matthieu Sabastia, professeur des écoles : « Il faut apprendre aux élèves à maîtriser le geste d’écrit dès la maternelle ».
Mais ce sont surtout les pratiques pédagogiques qui doivent évoluer, selon le Cnesco. « Il faut davantage articuler l’enseignement de la langue (orthographe, grammaire, vocabulaire) et la production de l’écrit. Un enseignant peut par exemple, demander à ses élèves de produire un texte et ensuite de remplacer certains mots par d’autres, de corriger les fautes d’orthographe », explique Nathalie Bertrand, formatrice en Espé (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation). L’utilisation du brouillon doit aussi être encouragée en classe : « Car il permet à l’élève de construire sa pensée et à l’enseignant de l’aider dans ce travail de préparation de la production », indique Matthieu Sabastia. L’école La Plaine à Saint-Laurent-du-Pont (Isère) pratique déjà ce travail : « Les élèves tracent tout d’abord une carte mentale de leur production (penser à l’histoire qui va être racontée, aux personnages, aux péripéties, aux mots choisis…) Ensuite seulement, ils peuvent passer à la rédaction et être par conséquent plus concentrés sur l’orthographe », explique une enseignante, Roselyne Gros-Balthazard.
Favoriser les travaux de groupe
« L’important est aussi d’entraîner fréquemment les élèves à rédiger. Car plus ils écriront, plus ils développeront des automatismes et plus ils progresseront », affirme Matthieu Sabastia. « L’idéal est de leur faire écrire des textes de genres variés (narratifs, informatifs, injonctifs, poétiques, argumentatifs) dans toutes les disciplines en leur demandant de respecter certaines contraintes (en évitant certains mots par exemple, en rédigeant le texte à l’imparfait, en se mettant à la place d’un personnage…) », poursuit-il. Dans cet esprit, le collège La Marquisanne de Toulon a mis en place des défis d’écriture, « Les Oulimpiades » : « Les élèves peuvent être amenés à écrire un lipogramme (par exemple, écrire un texte sans la lettre "e"), concevoir un texte à la manière de Raymond Queneau ou encore rédiger un texte dont les mots commencent tous par la même syllabe », raconte la formatrice, Claude Richerme-Manchet. Une initiative qui marche puisque les enseignants ont constaté qu’elle avait contribué a diminué la peur des élèves face à l’écriture et à améliorer leurs performances.
Si l’on veut que les élèves progressent, la dimension plaisir ne doit pas être occultée. « Pour cela rien de tel qu’organiser des travaux collectifs d’écriture. Cette réflexion avec d’autres enfants va permettre aux élèves de mieux veiller au respect de la langue, de développer leur esprit critique, leurs capacités d’argumentation et à avoir davantage conscience du lecteur », indique Jean-Paul Bronckart. C’est ce que fait déjà le collège Le Dimitile à l’Entre-Deux (La Réunion) où deux classes de 5e travaillent sur l’écriture d’un roman de science-fiction. Les élèves écrivent le même chapitre par petits groupes : « A la fin de la séquence, on lit les textes de chaque groupe, on débat et on décide ensemble des idées, des phrases que l’on va garder pour l’écriture finale », indique Aline Brobeck, professeur de français.
Les enseignants ont aussi tout intérêt à aller à la rencontre de leurs élèves « en utilisant les SMS, les tchats, les tweets dans des séquences pédagogiques », suggère Nathalie Bertrand. Mais tout cela ne se fera pas sans une meilleure formation des enseignants. « Tous les enseignants et pas seulement les professeurs de français, ont besoin de comprendre comment les élèves apprennent l’écrit », insiste Jean-Paul Bronckart.