VIDEO. Ados et porno: «Le plus important, c’est que les parents invitent au dialogue»
INTERVIEW•Alors que les adolescents sont confrontés de plus en plus tôt aux images pornographiques, le psychiatre Patrice Huerre dévoile quelques clefs aux parents pour ouvrir le dialogue…Propos recueillis par Oihana Gabriel
L'essentiel
- Le porno et ses éventuels dégâts font couler beaucoup d’encre et inquiètent jusqu’au président Macron.
- Beaucoup de parents se retrouvent très gênés quand ils découvrent que leur enfant regarde du porno.
- Le psychiatre Patrice Huerre dévoile donc quelques clefs pour ouvrir le dialogue sans gêne et sans oublier les messages essentiels.
Combien de parents se retrouvent surpris, déconfis, catastrophés quand ils découvrent que leur enfant surfe sur des sites pornos… voire partage des images (très) privées sur la Toile ? S’il y a bien un sujet tabou par excellence en famille, c’est la sexualité en général et le porno en particulier. Entre le mutisme, le déni et les conseils embarrassants, pas facile d’adopter la bonne réaction pour ne pas laisser son ado seul avec ses questions tout en respectant son intimité. Surtout à un âge où les conseils des parents, on s’en passe ! 20 Minutes a demandé quelques conseils à Patrice Huerre, pédopsychiatre et auteur de La sexualité à l'adolescence
Doit-on interdire le porno ?
Certains parents interdisent tout : pas de smartphone, pas d’Internet. Mais la plupart des jeunes sont confrontés à des images pornos sans l’avoir choisi, pas forcément sur l’ordinateur familial, mais chez un copain ou une copine. Ou au collège avec des grands qui friment.
Interdire, c’est impossible, limiter, c’est envisageable. On peut dire : « Je te déconseille de chercher ». Mais sans culpabiliser et en laissant toujours la porte ouverte au dialogue : si on n’en parle pas du tout à la maison, et qu’il n’a personne avec qui en discuter, l’ado peut confondre ces images et la réalité. Je conseille en général aux parents d’installer des logiciels de contrôle parental… tout en sachant que ce ne sera pas suffisant. Le plus important, c’est que les parents invitent au dialogue.
Mais faut-il anticiper ou attendre de prendre son ado sur le fait ?
On sait que l’accès au porno est de plus en plus précoce. Le problème, c’est que les parents ont pour référence leurs propres expériences et continuent de penser qu’avant un certain âge, leurs enfants n’y auront pas accès. Il vaut mieux en parler en fin de primaire, de manière large. C’est l’âge où ils écoutent encore leurs parents ! En expliquant : « Tu risques de rencontrer des images qui peuvent te choquer, n’hésite pas à nous en parler, on ne va pas te disputer ».
Ce feu vert préalable est important pour que l’enfant ne se réfugie pas dans le silence, dans la culpabilité. C’est là où ça peut poser problème, quand ça s’enkyste. L’autre avantage, c’est de préparer l’enfant à cette probabilité, en respectant son niveau de maturité. S’y préparer atténue le choc quand on vit dans un monde de bisounours…
Est-ce que les conséquences sont différentes selon les âges auxquels l’enfant est confronté à la pornographie ?
C’est plus une question de maturité que d’âge. A 12 ans, vous avez des adolescents déjà pubères, quand d’autres sont encore infantiles. Quand on assiste à des contenus pornos avant que le corps ne se soit transformé, ça ne peut qu’être étrange et choquant car il n’y a pas de correspondance entre le corps de l’enfant et le corps filmé. Le désir, avant la puberté, c’est irreprésentable.
Mais l’autre donnée importante, c’est la fragilité de l’adolescent. Plus ces adolescents sont vulnérables avec une histoire personnelle difficile, soumis à des violences, plus l’impact va être fort et ces images risquent de s’imposer comme un modèle. Et les réactions sont aux antipodes. Les auteurs de violences sexuelles que j’ai rencontrés avaient presque tous des modèles de scènes pornographiques. À l’inverse, certains vont s’enfermer dans une inhibition complète, en refoulant toute pensée sexuelle.
Mais finalement est-ce qu’on peut parler de dangers du porno ?
Ce n’est pas le terme. Les conséquences vont dépendre de la personnalité du jeune. Pour l’immense majorité, ça va être banalisé, l’objet de rigolades, peut-être qu’ils rient jaune, mais une distance s’instaure et ils ne vont pas prendre ces images comme un reflet de ce que doit être une relation sexuelle. Cela va les intriguer, les exciter, mais pas les traumatiser.
Comment aborder les choses ?
Il y a trois messages à faire passer. D’abord, c’est du cinéma, une confection d’images destinées à vendre, choquer, exciter. Bien montrer que ce n’est pas un reportage. Dans la vie, la sexualité quand on en a l’âge, ne ressemble pas à ça. Ensuite, que c’est normal d’avoir des pensées sexuelles mais qu’il n’y a pas d’urgence à les réaliser : d’ailleurs le premier rapport c’est toujours à 17 ans en moyenne, comme les générations précédentes ! En attendant, il y a cette maturation progressive, cette éducation sentimentale. Freud donnait l’image de deux rivières qui se rejoignent : l’envie sexuelle et le courant affectif. L’idéal c’est quand le couple parental propose un modèle de rencontre entre ces deux courants. Sans rentrer dans les détails de sa sexualité de parents.
Troisième message fondamental : le respect de l’autre et de soi-même. Ne rien faire à l’autre qu’il n’a pas envie de faire. Il faut lui répéter qu’il n’a jamais à subir quoi que ce soit au nom d’un conformisme de groupe. Cela tombe bien, on baigne en ce moment dans les campagnes sur le harcèlement et le consentement…