MANIFESTATIONSMai 68 à Marseille? C'était calme, mais ça a déclenché plein de choses

Mai 68: C'était plutôt calme à Marseille, puis la ville a été «à l'avant garde de nombreuses luttes»

MANIFESTATIONSSaviez-vous que Marseille était précurseur dans la défense des droits des femmes et des homosexuels ?..
Jean Saint-Marc

Jean Saint-Marc

L'essentiel

  • Mai 1968 a été plutôt calme à Marseille, relatent des chercheurs dans l’ouvrage Marseille, années 68.
  • Ils notent en revanche que la cité phocéenne a été à l’avant-garde des luttes antiracistes, féministes et homosexuelles dans les années 1970.

Est-ce ce fameux vent de folie qui agitait la France en mai 1968 ? Ou tout simplement de l’impertinence très marseillaise ? Dans un très officiel télégramme envoyé le 8 juin 1968, un policier du renseignement territorial des Bouches-du-Rhône raille gaiement la « malice » du général de Gaulle :

« On peut craindre que le survol des problèmes, selon l’habitude du chef de l’Etat, fasse que la résonance de son exposé [un entretien radiophonique] ne soit pas suffisante chez les jeunes. » »

En juin 1968, les policiers marseillais sont donc un peu moqueurs. Ils sont surtout soulagés. Dans la cité phocéenne, les manifestations se sont déroulées « dans l’ordre et la discipline », noteront-ils dans un bilan, envoyé quelques jours plus tard. Une archive des « RG » récemment déclassifiée. Ce matériau nourrit, avec de nombreux entretiens, l’ouvrage Marseille, années 68, dirigé par Isabelle Sommier et Olivier Fillieule*.

Les CRS réclament 300 matraques supplémentaires

Si le mai Marseillais a été « plutôt tranquille », c’est notamment « du fait du poids central du PC et de la CGT », assure Isabelle Sommier, professeure de sociologie à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. « L’hégémonie communiste, notamment chez les dockers, a contribué au fait que les gauchistes se soient tenus entre guillemets à carreau, à Marseille. » Pas de barricade ni d’affrontement avec les CRS, ce qui n’empêche pas ces derniers de réclamer « 300 bâtons supplémentaires », le stock de 400 matraques n’étant « pas suffisant. »

La SNIAS (désormais Airbus Helicopters) occupée en mai-juin 1968.
La SNIAS (désormais Airbus Helicopters) occupée en mai-juin 1968.  - Bulletin de Promémo, «Mai 68», octobre 2008, p. 12.

Contrairement au mai 68 du quartier latin, le printemps marseillais a été plus ouvrier qu’étudiant, plus populaire que bourgeois. La mobilisation a été très suivie : 98 % de grévistes dans l’enseignement, 90 % dans métallurgie, 80 % dans la réparation navale, et 100 % de grévistes chez les dockers et marins du port de Marseille lors de la grève générale du 13 mai.

Front antiraciste, féminisme et luttes LGBT

« C’est une spécificité de Marseille par rapport aux autres villes : elle est déjà en crise économique, déjà en déshérence, avec des salaires plus faibles qu’ailleurs et un chômage plus fort. Cette crise se fera sentir presque dix ans plus tard dans les autres villes », note Isabelle Sommier. Autre [grande] spécificité marseillaise : la position singulière de la cité phocéenne à l’avant-garde des grands combats des « années 1968 », cette fois au pluriel. Une période que les auteurs de l'ouvrage étendent jusqu’à la fin des années 1970.

« Le premier, c’est la lutte contre le racisme, reprend Isabelle Sommier. Le soutien à l’égard des travailleurs immigrés, notamment mal logés, apparaît à Marseille dès 1970. Cette lutte-là part de Marseille et va ensuite gagner tout le territoire, et le soutien sera de plus en plus fort à partir de l’été sanglant de 1973. » »

Après le meurtre d’un chauffeur de bus par un passager Algérien le 25 août, les « expéditions punitives » (comprendre les ratonnades) se sont multipliées, faisant selon la sociologue Rachida Brahim 32 victimes dont 16 morts en quatre mois. Ces différentes agressions, et surtout l’attentat perpétré le 14 décembre 1973 au consulat d’Algérie (revendiqué par le « club Charles-Martel »), ont provoqué la mobilisation d’un important « front antiraciste », associant « les milieux confessionnels » (comprendre, les cathos de gauche) et « les gauches alternatives. »

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Dans ses années post-68, Marseille est également à la pointe des luttes féministes et homosexuelles, avec des militants eux aussi souvent formés au sein des groupes d’extrême gauche moteurs en 1968. C’est donc à Marseille, et non à Paris, que sont organisées les premières universités d’été homosexuelles, en 1979. C’est aussi à Marseille que l’association SOS femmes battues crée la première structure d’hébergement pour les victimes de violences conjugales.

Le GLH (Groupe de libération homosexuelle) au défilé du 1er mai 1977 à Marseille.
Le GLH (Groupe de libération homosexuelle) au défilé du 1er mai 1977 à Marseille.  - Pierre Ciot

Et dès 1974, un Centre d’orientation, de documentation et d’information féminin (CODIF) est créé, avec le soutien du maire socialiste Gaston Defferre. Et voilà comment le féminisme marseillais se retrouve, selon Lucie Bargel et Olivier Fillieule, « pris dans les filets du clientélisme defferriste. » Encore une spécificité marseillaise…

* Marseille, années 68, ouvrage collectif, sous la direction d’Olivier Fillieule et Isabelle Sommier. Presses de Sciences Po (mars 2018).