VIDEO. «Pédophilie, un silence de cathédrale», un documentaire fouillé et bouleversant sur le scandale qui secoue l'Eglise de France
TELE•«France 3» diffuse ce mercredi soir, en partenariat avec «20 Minutes», un film consacré au scandale des prêtres pédophiles, né à Lyon en janvier 2016...Elisa Frisullo
L'essentiel
- «Pédophilie, un silence de cathédrale », un documentaire réalisé par Richard Puech, est diffusé à 20 h 55 sur « France 3 », en partenariat avec « 20 Minutes ».
- Ce film donne la parole aux victimes et aux représentants de l’Église pour décrypter le scandale des prêtres pédophiles qui secoue l’Église de France depuis l’affaire lyonnaise déterrée en 2016 par « La Parole Libérée ».
Des vies brisées ou marquées à jamais, des traumatismes indélébiles, des gestes d’horreurs, des détails sordides ou des odeurs qui, des décennies après les faits, leur sont tout aussi insoutenables. Après des années de silence, François, Pierre-Emmanuel, David, Christian, Bertrand, Alexandre, Claudine, Audrey posent, à visages découverts, au côté de leur photo d’enfance. Une enfance bafouée par les sévices qui leur ont été imposés par des hommes d’Église.
Ce mercredi, leurs témoignages seront à l’honneur de Pédophilie, un silence de cathédrale, diffusé à 20 h 55 sur France 3 (1). Un documentaire de 95 minutes, dans lequel le réalisateur Richard Puech revient sur l'énorme scandale qui, depuis deux ans et quinze après l’affaire de Boston aux Etats-Unis, secoue l’Église Française. Une tempête qui a éclaté, à Lyon, lors de la révélation de l’affaire Preynat par d’anciens scouts.
C’était le 12 janvier 2016. Plus de 25 ans après les assauts pervers dont ils accusent Bernard Preynat, curé dans le diocèse de Lyon, François Devaux, Bertrand Virieux et Alexandre Dussot, les fondateurs de La Parole Libérée, s’engageaient ce jour-là, sans y être préparés, dans une bataille médiatique hors norme. Un combat destiné à révéler leurs agressions, à faire arrêter le prêtre toujours à cette époque au contact d’enfants, et à briser l’omerta autour de la pédophilie dans l’Église.
En quelques mois, les anciens scouts de Sainte-Foy-lès-Lyon parviennent à retrouver des dizaines de victimes présumées du prêtre et plus de 400 petites proies d’autres hommes d’Église. Des faits prescrits le plus souvent. Dans leur sillage, la parole se libère dans de nombreuses autres régions de France, où l’Église voit ressurgir de vieilles affaires qu’elle pensait enterrées. Le scandale dépasse largement les frontières lyonnaises, remontant jusqu’aux plus hautes sphères de l’État et jusqu’au Vatican.
Le combat de La Parole Libérée, un détonateur
Pendant des mois, Richard Puech a sillonné la France à la rencontre de ces victimes. « J’ai voulu faire un film qui donne la parole à celles et ceux dont les révélations avaient été étouffées trop longtemps par le clergé. Ils étaient les plus légitimes pour dire la réalité et l’ampleur du fléau dans l’église », confie le réalisateur, dont le film revient sur le combat de La Parole Libérée et la difficulté de l’Église à sortir de cette culture du silence pour s’attaquer, vraiment, au fléau de la pédophilie.
Au fil du documentaire, les récits d’hommes et de femmes abusés par des religieux s’enchaînent. Leurs mots, si longtemps contenus, bouleversent, tout autant que leur combat actuel pour briser les tabous et le silence qui ont régné, en maître, dans l’Église, des siècles durant. Parmi ces victimes, Christian, 56 ans, décrit avec précision ce que le curé de Sainte-Foy-lès-Lyon lui aurait fait subir alors qu’il était jeune scout. « Des caresses sur son sexe, des fellations. Il fallait que je fasse la même chose. J’étais comme un robot, j’obéissais à ses ordres, je ne pouvais pas faire quoi que ce soit », témoigne ce Lyonnais.
Des témoignages bouleversants
Du père Preynat qui lui aurait également imposé des « caresses », Bertrand Virieux, 46 ans, se rappelle un homme « gros, gras au sens suant », à l’haleine gâtée par les cigarillos qu’il fumait. Puis vient le témoignage de Victoria, qui pour se défaire des abus de son enfance imposés par un autre religieux, a changé de sexe. « On n’a pas violé que mon corps, mais également mon esprit. Me débarrasser de mon corps de garçon a été une résurrection », confie-t-elle.
Face à ces paroles de victimes, l’Église a également été invitée à s’exprimer. À commencer par l’archevêque de Lyon Philippe Barbarin, poursuivi par certains des anciens scouts pour ne pas avoir dénoncé les agressions sexuelles reprochées au père Preynat. Mais une fois encore, le cardinal a préféré le silence. L’homme d’Église, qui est convoqué début avril devant la justice pour s’expliquer (2), a fait l’objet de vives critiques après avoir longtemps refusé de s’exprimer sur l’affaire exhumée du passé par La Parole Libérée et avoir accumulé, ensuite, les maladresses en évoquant la question de la pédophilie.
« Je me reconnais coupable des manquements »
Si le Primat des Gaules n’a pas souhaité répondre aux questions de Richard Puech, Mgr Crépy, chargé d’animer la cellule permanente de lutte contre la pédophilie créée par l’Église, lui a ouvert ses portes. « Je me reconnais coupable des manquements, des erreurs que font encore aujourd’hui certains membres de la vie religieuse, certains évêques, confie l’évêque du Puy-en-Velay. Quand on a déplacé des religieux de postes en poste, quand on a transféré des prêtres, quand on a d’abord voulu préserver l’image de l’Eglise avant d’entendre les victimes ».
Face au scandale, l’Église a mis en place quelques mesures, comme l’instauration dans chaque diocèse d’une cellule d’écoute aux victimes. « Depuis deux ans, on essaye de faire avancer les choses. On n’a malheureusement jamais fait autant », ajoute Luc Crépy. Pour les adultes, meurtris à jamais dans leur chair, ces mesures sont davantage destinées à étouffer le scandale plutôt qu’à lutter véritablement contre la pédophilie. Un fléau dont l’institution n’a semble-t-il pas encore pris toute la mesure. En 2017, cette dernière évoquait 70 cas de prêtres pédophiles, soit 0,4 % des curés, alors que dans le reste du monde, des enquêtes officielles donnent des chiffres d’une tout autre ampleur (4 % aux Etats-Unis, 7 % en Australie).
Comme bon nombre de victimes qui ont brisé le silence, Olivier attend toujours, deux ans après le début du scandale pédophile, que l’Eglise prenne enfin la pleine conscience de ce fléau. En novembre dernier, il a demandé à pouvoir témoigner devant les évêques réunis à Lourdes des abus qui lui ont été imposés par un prêtre. L’Église a refusé. « La conférence des évêques de France nous a fermé ses portes et nous, victimes, nous restons dehors, regrette-t-il. Le chemin est encore long. »