Mayotte: Pourquoi la création d'un «statut international» pour la maternité pose problème
DROIT DU SOL•Un groupe de travail va être créé pour plancher sur ce sujet, a indiqué lundi la ministre des Outre-mer Annick Girardin...Hélène Sergent
L'essentiel
- Depuis la mi-février, des grèves, manifestations et blocages sont organisés dans le département français de Mayotte.
- Le Premier ministre a indiqué que le gouvernement étudiait un « statut légal » international pour la maternité de Mayotte.
- Un groupe de travail devrait être créé sur le sujet dans les semaines à venir.
C’est un débat complexe qui s’est invité dans la crise mahoraise. Le 8 mars, soit trois semaines après le début des blocages à Mayotte, le Premier ministre a annoncé face aux sénateurs l’étude par son gouvernement d’un statut « extraterritorial » pour la seule et unique maternité de l’île. Avec 9.674 naissances en 2017, l’établissement détient le record du nombre d’accouchements en France.
« Est-ce qu’on s’autorise à travailler sur un nouveau statut de cette maternité ? Est-ce qu’on réfléchit aux transformations qu’il faudrait apporter en matière de droit et d’accès à la nationalité à cet endroit ? Je mets tout sur la table », a assuré Edouard Philippe. Depuis, la ministre des Outre-mer Annick Girardin a annoncé la création d’un « groupe de travail » pour plancher sur un statut « international » pour cette maternité. Mais de quoi s’agit-il vraiment et un tel statut est-il vraiment envisageable ? 20 Minutes fait le point.
- Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il un tel statut ?
Interrogé par un sénateur LREM de Mayotte sur la crise qui secoue ce département, le chef du gouvernement a estimé que l’explosion démographique de l’île, « sous l’effet de l’augmentation du solde naturel et lié à l’immigration clandestine, est absolument considérable et n’a aucun équivalent ». Et qu’il est donc nécessaire de repenser l’accès à la nationalité française pour les enfants nés de deux parents étrangers, originaires des Comores ou de Madagascar.
Mais l’annonce du Premier ministre est depuis nuancée. Contacté par 20 Minutes, le député LREM Aurélien Taché, chargé du volet « intégration » au sein de la majorité détaille : « Le droit du sol, c’est la possibilité si vous êtes né sur le sol français de deux parents étrangers, de demander la nationalité à l’âge de 13 ans et après justification de 5 ans de résidence. Ce sera toujours le cas mais les enfants de femmes comoriennes qui y naîtraient pourraient être déclarés comme Comoriens au registre de l’état civil et non automatiquement français ».
- S’agit-il d’une remise en cause du droit du sol ?
« Non », insiste le député En Marche : « La majorité considère évidemment qu’il s’agit d’un droit fondamental et constitutif de la France. Nulle part il ne sera remis en cause ». Mais pour Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble, la proposition en l’état pose de nombreux problèmes. « Si l’Etat aboutit à un accord avec les Comores et Madagascar pour déclarer la maternité comme un établissement international, cela veut dire concrètement que les enfants nés là-bas n’accéderont plus automatiquement à la nationalité française ».
Or rappelle le juriste, « le droit du sol s’applique sur l’ensemble du territoire sans aucune exception. Selon moi, ce serait contraire au principe d’indivisibilité de la République et ce serait une rupture d’égalité. C’est-à-dire qu’un droit différent sera appliqué en fonction de la nationalité d’un individu ». Une bataille sémantique et une juridique qui a suscité des réactions plus que mitigées.
- Quelles réactions suscite cette proposition ?
A droite, Les Républicains dénoncent le « manque de courage » du gouvernement. « Nous ne sommes pas favorables à ce projet. Juridiquement on se demande comment cela peut être viable. Cela signifie-t-il que le gouvernement va mettre en place un statut extraterritorial dans chaque territoire qui connaît une forte pression migratoire comme c’est le cas en Guyane ? », interroge la porte-parole du parti, Lydia Guirous.
La formation de Laurent Wauquiez plaide pour une « suspension » totale du droit du sol sur l’ensemble du territoire de l’île et non uniquement au sein de la maternité. Une proposition qui contreviendrait tout autant au principe « d’indivisibilité » de la République et à celui d’égalité. « Il faudrait travailler sur ce point légal », reconnaît la porte-parole du parti sans avancer pour autant de solution concrète.
Pour Safina, membre collectif des citoyens de Mayotte, la proposition du gouvernement représente un autre risque non négligeable : « Est-ce que ces accouchements n’auront pas lieu ailleurs qu’à l’hôpital ? On voudrait éviter une situation dramatique pour l’île et se retrouver avec des problèmes sanitaires plus graves comme la multiplication d’enfants mort-nés ou des mamans qui décèdent pendant l’accouchement ».
Selon elle, la solution se trouverait aux Comores : « Sur l’île d’Anjouan, un hôpital aurait été construit pas des entrepreneurs chinois mais ne fonctionnerait pas. Le gouvernement français pourrait se pencher sur cette question et proposer une coopération pour envoyer du personnel médical si c’est un problème de main-d’œuvre ! ».
- Ce projet de statut spécifique pour la maternité de Mayotte est-il vraiment réaliste ?
Au-delà du problème constitutionnel que pourrait poser cette mesure, le professeur de droit public, Serge Slama dénonce un constat « faux » et biaisé des autorités. « Ce projet repose sur l’idée fausse que les femmes comoriennes viendraient pour que leurs enfants soient automatiquement français mais c’est beaucoup plus compliqué que ça ! C’est sous-estimer la part d’enfants nés à Mayotte et issus de mariages mixtes », s’insurge-t-il.
En effet, selon les données d’état civil (Insee), sur les 9.500 enfants nés à Mayotte en 2016, 58 % avaient au moins un parent français, et étaient donc des enfants français par filiation dès la naissance. Soit plus de la moitié. Le député Aurélien Taché reconnaît une « instrumentalisation » du sujet… par l’opposition de droite : « Quand Wauquiez dit que l’octroi de la nationalité française est automatique pour ces enfants, c’est faux. C’est nier un parcours plus complexe ».