TEMOIGNAGEVIDEO. «1.300 euros pour prendre un coup de lame, c'est pas cher payé»

VIDEO. Blocage des prisons: «1.300 euros pour prendre un coup de lame, c'est pas cher payé»

TEMOIGNAGEMalgré une série de propositions pour changer la donne, dans les prisons, l'espoir se meurt...
Emilie Petit

Emilie Petit

L'essentiel

  • Pendant plus de dix jours, de nombreux établissements pénitentiaires ont été bloqués par les surveillants de prison. Parmi lesquels celui de Vendin-le-Vieil.
  • Un projet d’accord présenté par la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a été signé par l’Ufap-Unsa, syndicat majoritaire des surveillants de prison. Au grand dam de certains d’entre eux.
  • Des sanctions ont déjà commencé à tomber sur les agents grévistes.

Il n’y croit plus. Malgré la signature d’un projet d’accord, le 26 janvier, proposé par la garde des Sceaux, Julien (*), surveillant de prison depuis de nombreuses années, reste amer. Les propositions de Nicole Belloubet ne l’ont pas convaincu. Loin de là. « Tous ceux qui prennent des décisions sont déconnectés », lâche-t-il, à la fois lassé et résigné.

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Il n’a pourtant jamais songé à raccrocher. Même si de temps en temps, quand même, « on se demande ce qu’on fait ici ». « Maton » depuis quelques années à la centrale de Vendin-le-Vieil, il est resté mobilisé pendant douze jours, ces deux dernières semaines, tout comme ses confrères d’une centaine d’établissements en France. Contre l’insécurité grandissante, le manque de formations, les salaires « beaucoup trop bas par rapport aux risques que l’on prend au quotidien ». Et surtout contre ce « flicage intempestif » qui, il l’assure, les empêche, lui et ses collègues, de faire correctement leur boulot.

« On est censé se servir des caméras de surveillance en cas de problème seulement. Sauf que l’administration s’en sert pour nous dire ce qu’on a mal fait. On a beau leur expliquer que, si on a fait ça comme ça, c’est qu’on ne pouvait pas faire autrement, ils s’en fichent. Ils ne nous écoutent pas. »

« Nous avons prévenu à plusieurs reprises notre administration »

Il en veut pour preuve l’agression de trois surveillants par un détenu radicalisé, le 11 janvier, à Vendin. « Le détenu nous avait dit qu’il passerait à l’acte. Nous avons prévenu à plusieurs reprises notre administration. Qui nous a répondu, à chaque fois, qu’il n’y avait aucun risque… ». Pas une première, selon Julien. L’année dernière, deux détenus en sont venus aux mains. L’un d’eux à fini par tuer l’autre. Là encore, l’administration aurait été alertée. « Résultat : deux de nos collègues vont passer en commission pour manque de surveillance et manque de rigueur ! » s’insurge-t-il.

S’il est encore là, ce n’est pas par amour pour son métier, mais plutôt par commodité. « Surtout depuis que je suis à la prison de Vendin-le-Vieil. On a un bon service. Nos cycles de travail me permettent, aujourd’hui, d’avoir une vie à côté et de profiter de voir ma femme et mes enfants un peu plus. Et puis, j’ai le crédit de ma maison à payer donc même si je voulais partir, je ne pourrais pas », explique-t-il.

« Ce sont des grosses centrales qui ressemblent à des HLM »

Au cours de sa carrière, Julien a vu la prison se transformer. « J’ai commencé à travailler dans une maison d’arrêt, à l’ancienne. C’était le régime totalitaire pénitentiaire. Puis, j’ai ensuite été transféré dans de nouveaux établissements, comme celui de Vendin. Ce sont des grosses centrales qui ressemblent à des HLM. Aujourd’hui, le mot d’ordre c’est « la paix sociale » ! ». Pas qu’il soit pour le conflit permanent. Mais cette volonté d’accalmie dans un lieu où règne, malgré tout, la violence physique et morale, ne colle pas, selon lui, à la réalité de son quotidien. « Tous ceux qui prennent les décisions n’ont pas été sur le terrain depuis tellement longtemps qu’ils ne se rendent pas compte de ce qu’il se passe vraiment derrière les murs. »

Sur la question de l’effectif, Julien reste, là encore, très critique. Pour lui, les 1.100 postes supplémentaires promis par la ministre de la Justice ne régleront pas le problème : « J’ai vu beaucoup de jeunes qui tenaient la route. Ils ne sont même pas restés un an. Parfois même, à la fin de leur service, ils ne revenaient pas… Et puis franchement, 1.300 euros pour prendre un coup de lame, c’est pas cher payé. »

Des sanctions à l’encontre des grévistes

Pour lui, le pire reste à venir. Car, à cette impression d’être pris entre deux étaux - les règles et process voulus par l’administration et la réalité du contact avec les détenus - s’ajoute celle de ne pas être entendu. « On a demandé des équipements de sécurité supplémentaires. Après ce qu’il s’est passé, on nous a dit qu’on les aurait dans deux mois. C’est déjà trop long ! Si jamais on les a vraiment… »

Alors que la plupart des établissements pénitentiaires ont, aujourd’hui, repris normalement leurs activités, des sanctions ont visiblement déjà commencé à tomber sur les grévistes. A Vendin, Julien assure que des suspensions de salaires et des mises à pied ont déjà touché quelques-uns de ses collègues.

(*) Le prénom a été changé