LA BIOÉTHIQUE ET VOUS (4/5)«Divorcée et mère d'un enfant, j'ai eu des jumeaux par PMA»

Vos états généraux de la bioéthique: «Divorcée et mère d'un enfant, j'ai eu des jumeaux par PMA»

LA BIOÉTHIQUE ET VOUS (4/5)A l’occasion des Etats généraux de la bioéthique, « 20 Minutes » donne la parole à des hommes et des femmes dont les parcours incarnent les enjeux au cœur de ces débats. Aujourd’hui, Alice*, mère célibataire, s’est rendue en Espagne pour concevoir ses jumeaux par procréation médicalement assistée (PMA), interdite en France aux femmes seules…
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Depuis le 18 janvier dernier se déroulent les Etats généraux de la bioéthique, une grande concertation nationale qui durera jusqu’à l’été, préambule à la révision de la loi du même nom prévue pour la fin de l’année.
  • A cette occasion, l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, célibataires et en couple avec une femme, sera débattue, une mesure plébiscitée par 86 % des 18-30, selon un sondage exclusif** OpinionWay pour 20 Minutes.
  • Alice*, mère célibataire, s’est rendue en Espagne pour concevoir par PMA ses jumeaux. Elle raconte son parcours à 20 Minutes.

«Elle a fait un bébé toute seule ». Comme le chantait Jean-Jacques Goldman il y a déjà plus de trente ans, des femmes célibataires font le choix de se lancer seule dans la maternité. En pratique, c’est, bien sûr, un peu plus compliqué que ça. Et les choses se compliquent encore lorsqu’il s’agit de se lancer dans un parcours de procréation médicalement assistée (PMA), dispositif dont ne peuvent à ce jour bénéficier les femmes célibataires ou en couple avec une femme.

C’est donc en Espagne que s’est rendue Alice* pour concevoir ses jumeaux. A l’occasion des Etats généraux de la bioéthique, une grande concertation nationale qui durera jusqu’à l’été en préambule à la révision de la loi du même nom prévue pour la fin de l’année, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, célibataires et en couple avec une femme, sera débattue. Et selon un sondage exclusif** OpinionWay pour 20 Minutes, 86 % des 18-30 sont favorables à cette mesure.

« Je ne me voyais pas en couple dans l’immédiat et je savais que ma fertilité n’était pas très bonne »

Au départ, le parcours de vie d’Alice était semblable à celui de beaucoup d’autres femmes et hommes. Elle rencontre un homme, ils se marient et font un enfant. Comme beaucoup d’autres, Alice a divorcé, mais son désir de maternité ne l’a pas quittée. « Je me suis retrouvée, à 40 ans, divorcée et mère célibataire d’un enfant, mais je ne voulais pas n’avoir qu’un seul enfant, ni pour moi ni pour mon aîné, raconte-t-elle. Je ne m’imaginais pas me remettre en couple dans l’immédiat et je savais que ma fertilité n’était pas très bonne ».

La jeune mère décide de tenter une fécondation in vitro (FIV) avec donneur de sperme au Danemark. « Là-bas, le don est non anonyme, et je voulais que mon enfant puisse, s’il le voulait, retrouver son géniteur à sa majorité », explique Alice. Mais après trois tentatives de FIV avec ses ovocytes, elle ne parvient pas à tomber enceinte. La mère célibataire change alors de méthode pour réaliser son rêve de maternité.

« J’ai dû me débrouiller toute seule »

Elle opte alors pour le double don de gamètes. « Je n’avais plus les moyens d’aller au Danemark, donc la solution la moins onéreuse et la plus simple pour moi, c’était d’aller en Espagne », dans une clinique réputée de Barcelone, indique-t-elle. Car si la PMA est autorisée et prise en charge financièrement en France pour les couples hétérosexuels ayant des troubles de la fertilité, il n’en est rien pour les femmes célibataires.

« Pour payer tous les frais, les cliniques, les traitements et les voyages, j’ai dû faire un crédit à la consommation, la charge financière était trop lourde », souligne Alice, qui aimerait que la PMA soit ouverte à toutes les femmes en France. Mais pour elle, le jeu en valait la chandelle. « Pour optimiser mes chances de tomber enceinte, on m’a implanté deux embryons, se rappelle Alice. C’était le seul essai que je pouvais m’offrir, il fallait que ça marche ». Et ça a marché, puisqu’Alice est ainsi tombée enceinte de jumeaux, un garçon et une fille.

Toutefois, pour une mère célibataire de 40 ans, mener seule une grossesse gémellaire n’est pas de tout repos. « La grossesse s’est à peu près bien passée, mais attendre des jumeaux tout en élevant seule mon aîné de 4 ans a été très fatigant, je n’avais personne autour de moi pour m’aider », se souvient Alice. La jeune mère a toutefois pu compter sur l’aide précieuse d’une amie qui a gardé son fils quelques jours lorsqu’elle a accouché. « Après une césarienne et 5 jours d’hospitalisation, je suis rentrée seule chez moi avec mes deux bébés que j’allaitais et mon aîné qui avait aussi besoin d’attention. Tout s’est très bien passé, mais cette période a été épuisante », se remémore-t-elle.

Faire des choix

Aujourd’hui, les jumeaux ont 4 ans, et Alice le reconnaît volontiers, « c’est beaucoup de boulot et de fatigue d’élever seule trois enfants tout en travaillant à temps plein. Quand ils sont malades ou qu’ils me transmettent les virus attrapés à l’école, c’est épuisant et je dois gérer tout toute seule ». Des impératifs qui ne sont pas sans impact sur la vie professionnelle de la jeune maman. « Ma carrière d’ingénieure ne progresse plus, car j’arrive au travail après avoir déposé mes enfants à l’école et je repars tôt pour aller les chercher ». Alice ne se plaint pas pour autant. « Financièrement je suis très juste, mais je m’en sors ».

Côté vie privée, elle a aussi dû faire des choix. « Je n’ai plus le temps ni l’énergie d’avoir de vie sociale ni amoureuse, admet-elle, pas inquiète pour autant. Je sais que lorsqu’ils commenceront à être plus autonomes, j’aurai plus de temps pour tout ça. Mais pour l’instant, je préfère profiter à fond du temps passé avec eux tant qu’ils sont petits ».

« On forme une famille très unie »

Malgré la fatigue et les galères de maman solo, si c’était à refaire, Alice, qui s’épanouit pleinement dans son rôle, n’hésiterait pas une seconde à retenter l’aventure. « Je ne regrette pas du tout mon choix, on forme une famille très unie, se réjouit-elle. Mes jumeaux, qui ont aujourd’hui 4 ans, adorent leur grand frère et c’est réciproque ».

Entre ses trois enfants, pas de différence, « autant d’amour pour chacun », précise Alice. Et si son fils aîné est né de son premier mariage et que ses jumeaux ont vu le jour grâce à des dons d’ovocytes et de sperme, Alice voit des traits communs sur le visage de ses trois enfants. « Ma fille me ressemble et mon deuxième fils ressemble à son grand frère ». Des ressemblances qui ne sont pas le fruit du hasard. « Dans la clinique où je suis allée, j’ai pu choisir un donneur et une donneuse ayant des caractéristiques physiques proches des miennes, révèle-t-elle. La ressemblance, c’est aussi le mimétisme qui s’opère dans une famille, sur les expressions du visage et la manière d’être ».

« Je voulais qu’ils puissent avoir accès à ces informations »

Alice ne cache à ses enfants rien de la manière dont elle les a conçus. « Depuis leur naissance et de temps à autre, je leur raconte comment ils ont vu le jour. Je leur explique que je ne pouvais plus faire d’enfants avec mes propres graines, que je n’avais pas d’amoureux mais que je voulais agrandir la famille, indique Alice. Je leur retrace toute l’histoire de leur conception : je leur dis que je suis allée dans une clinique et qu’un docteur a choisi pour moi des graines parmi celles données par des femmes et des hommes, qu’il les a mélangées et mises dans mon ventre, et que ces graines sont devenues mes enfants. J’emploie des mots plus précis pour expliquer les choses à mon fils aîné, qui comprend très bien, assure-t-elle. Mes jumeaux aussi ont très bien compris : ils savent que leur grand-frère a un papa et qu’eux n’en ont pas, que leur famille, c’est leur frère et moi ».

Car en concevant ses enfants en Espagne, où le don de gamètes est anonyme, Alice sait que ses jumeaux n’auront aucun moyen d’avoir des informations sur leurs géniteurs. « Je voulais qu’ils puissent avoir accès à ces informations, confie Alice, qui avait d’abord choisi le Danemark pour cette raison-là. Mais je me suis faite à l’idée que ce n’était pas possible, tout comme je me suis faite à l’idée que mes enfants n’auraient pas mes gènes ». Un prix à payer qui ne l’a pas effrayée : « je suis heureuse d’avoir eu recours à ce double don, c’est une richesse pour notre famille, estime-t-elle. Ça l’embellit ».

* Le prénom a été changé.

** Etude OpinionWay pour 20 Minutes réalisée en ligne du 2 au 6 février 2018 auprès d’un échantillon représentatif de 618 jeunes âgés de 18 à 30 ans (méthode des quotas).