VIDEO. Limitation de la vitesse à 80 km/h: Une mesure inefficace pour deux Français sur trois
SONDAGE EXCLUSIF•Afin de réduire la mortalité routière, le gouvernement devrait annoncer mardi l’abaissement à 80 km/h de la limitation de vitesse des routes secondaires à double sens, au grand dam de nombreux automobilistes…Anissa Boumediene
L'essentiel
- Ce mardi, à l’occasion d’un conseil interministériel de sécurité routière (CISR), le gouvernement devrait annoncer l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires.
- Edouard Philippe, qui défend cette mesure, se dit prêt à être « impopulaire » tant que cela permet de « sauver des vies ».
- Mais selon un sondage YouGov* pour « 20 Minutes », cette mesure serait inefficace pour diminuer la mortalité routière.
Edouard Philippe se dit prêt à être « impopulaire », il devrait être servi. Pour tenter d’enrayer la mortalité routière, le gouvernement devrait annoncer ce mardi l’abaissement à 80 km/h de la vitesse maximale sur 400.000 km de routes secondaires, à l’occasion d’un conseil interministériel de sécurité routière (CISR). La mesure est défendue par Edouard Philippe, même s’il « comprend les arguments » des automobilistes réfractaires, puisque c’est « pour sauver des vies », explique-t-il dans un entretien au JDD paru ce dimanche. Mais deux Français sur trois jugent cette mesure inefficace, estimant qu’elle ne permettra pas de diminuer la mortalité routière, selon un sondage YouGov* pour 20 Minutes, mais plutôt de « remplir les caisses de l’Etat ».
Baisser la vitesse : une mesure contre-productive ?
« Il y a 3.500 morts et 70.000 blessés par an, 70.000 ! Après des décennies de progrès, nos résultats se sont dégradés. Eh bien je refuse de considérer cela comme une fatalité », justifie Edouard Philippe pour défendre l’abaissement de la vitesse maximale autorisée.
« Si on fait baisser de 10 % la vitesse moyenne, on obtient une baisse de 4,6 % du nombre de morts (…), c’est une donnée scientifique qui a été mesurée par de nombreuses études dans le monde », déclarait en fin d’année le délégué interministériel à la sécurité routière, Emmanuel Barbe. « Je crois qu’il y aurait moins de morts car le choc pourrait faire moins de dégâts que si on roule à 90km/h », abonde Thérèse, une internaute. Sauf que pour nombre d’automobilistes, les expérimentations menées en se sens ne seraient pas concluantes, comme l’avance l’association 40 millions d’automobilistes, citant une expérimentation menée au Danemark, où la vitesse a été augmentée de 80 à 90 km/h sur une portion du réseau secondaire, avec pour effet une baisse de 13 % de la mortalité sur deux ans. Ainsi, pour 67 % des Français, baisser à 80 km/h la vitesse autorisée ne serait pas efficace.
« Aucune étude n’a prouvé que la limitation de vitesse avait un impact sur la diminution de la mortalité sur les routes », tacle Olivier. D’ailleurs, le rapport sur l’expérimentation qui a été menée ne mentionne aucune donnée sur l'accidentalité. L’abaissement de la vitesse à 80 km/h serait même une mesure contre-productive pour certains. « Sur les petites nationales, les poids lourds ne respecteront pas cette limitation : le risque est de se faire doubler par d’énormes camions le danger est certain », assure Alain. « Tout le monde va essayer de doubler les camions, qui vont rouler à la même vitesse que les voitures, et soit on va se faire flasher soit ce sera l’accident, faute de visibilité », redoute un autre internaute. D’autant que « la baisse de la vitesse va favoriser la monotonie et la baisse de vigilance au volant, avec davantage d’endormissements, donc plus de risques d’accidents », expose de son côté Jean-Louis, un de nos lecteurs.
Améliorer l’état des routes et faire respecter la législation existante
D’ailleurs, selon nombre d’automobilistes en colère, la vitesse ne serait pas le terrain sur lequel il faudrait agir pour réduire la mortalité routière, la clé serait de faire respecter la législation existante. « Le problème ce n’est pas la vitesse, ce sont les comportements au volant : refus de priorité, non-utilisation des clignotants, non-respect des distances de sécurité, dépassements dangereux ou encore téléphone au volant, énumère Daniel. Ce sont ces infractions-là qui devraient être plus sanctionnées ! » Un avis partagé par Yves, pour qui « la limitation de vitesse n’empêchera pas les dépassements dangereux, ni l’utilisation du téléphone et encore moins les conducteurs ivres ou sous l’emprise de stupéfiants ». Et « avant de vouloir limiter la vitesse sur le réseau secondaire, il conviendrait d’abord de faire respecter la vitesse actuelle, suggère René. La plupart du temps, lorsque je circule à 90 km/h, je me fais dépasser ».
A chaque catégorie de conducteurs son lot de recommandations : « il faudrait instaurer l’éthylotest pour tous les camions pour les empêcher de démarrer s’ils ont bu », préconise un internaute. Les séniors ne sont pas non plus oubliés. « A partir d’un certain âge, ils devraient passer une visite médicale pour évaluer leur aptitude à la conduite, comme c’est le cas dans de nombreux pays européens, prescrit Mary. Ainsi qu’une suppression définitive du permis en cas d’accident sous l’emprise de stupéfiants ou d’alcool ».
Faustine, elle, craint « le coût qu’il faudrait engager pour changer tous les panneaux de signalisation sur tout le territoire français. Cet argent devrait servir à améliorer l’état des routes, qui mériteraient plus de maintenance ». De nombreux usagers pointent ainsi le mauvais état du réseau routier, faute de moyens. « Dans mon département, le budget d’entretien ou de réaménagement des routes a été divisé par trois en 10 ans, témoigne un fonctionnaire, projecteur routier, sous couvert d’anonymat. Les routes départementales sont moins bien entretenues qu’il y a quelques années. Avec les dégradations qui s’accumulent, les routes départementales deviennent accidentogènes, ce qui justifie l’abaissement de la vitesse à 80 km/h ».
Des automobilistes « pris pour des vaches à lait »
Edouard Philippe le sait, « si nous annonçons cette mesure, je serai critiqué. Mais je sais qu’elle va sauver des vies, et je veux sauver des vies. Je comprends les arguments, et même la mauvaise humeur, mais je ne le fais pas pour augmenter les recettes de l’État », plaide le Premier ministre. S’il s’en défend, nombre d’automobilistes voient pourtant dans cette mesure un moyen de « remplir les caisses de l’Etat ». C’est « l’œuvre du monde politique en quête de solutions de facilité, condamne un lecteur. Seule une limitation de vitesse crédible est compréhensible et ne passe pas pour une levée d’impôt pure et simple ». Les conducteurs « ne doivent pas devenir les vaches à lait de l’état », fustige Patrick, alors que, selon notre enquête, quatre Français sur 5 (79 %) sont du même avis.
Et ceux qui voudraient ne pas ralentir tout en restant dans la légalité « seront contraints de prendre les autoroutes payantes », s’agace Annick, qui ne voit dans cette mesure qu’une décision « plus répressive » destinée à « remplir les caisses de l État ».
Bien qu’impopulaire, la généralisation de cette mesure devrait toutefois être annoncée ce mardi par le chef du gouvernement. « Raisonnons par l’absurde : est-ce qu’il y a quelqu’un pour penser que la limitation à 80 km/h va augmenter la mortalité ? Non bien sûr, pense Jean-Louis. Donc même si cette décision ne sauve que 100 vies, 10 vies ou même une vie, bien sûr qu’il faut la prendre ».
* Enquête réalisée sur un échantillon de 1.000 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus. Le sondage a été effectué en ligne, sur le panel propriétaire YouGov France, du 3 au 4 janvier 2018, selon la méthode des quotas.