INTERVIEWLe « blackface révèle un oubli des origines racistes de ces spectacles »

VIDEO. Griezmann grimé en noir : Le « "blackface" révèle un profond oubli des origines racistes de ces spectacles »

INTERVIEWLa photo du footballeur Antoine Griezmann grimé en basketteur noir, publiée en décembre 2017, relance les questions posées par le « blackface »…
Le tweet de Griezmann qui a enflammé les réseaux sociaux.
Le tweet de Griezmann qui a enflammé les réseaux sociaux.  - Capture d'écran
Oihana Gabriel

Propos recueillis par Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Antoine Griezmann a déchaîné la colère des internautes en postant une photo de lui grimé en basketteur noir.
  • Il n’est pas le premier à se faire critiquer pour une « blackface ».
  • Mais d’où vient cette tradition et pourquoi elle pose problème ? L’historien français Nicolas Bancel l’explique.

EDIT : cet article a été initalement publié en décembre 2017. Nous le remontons aujourd'hui alors que des photos de Justin Trudeau, premier ministre canadien, le visage grime en noir lors d'une soirée étudiante, ressurgissent et créént la polémique.

Il se serait sans doute passé d’une telle avalanche de critiques. Le footballeur Antoine Griezmann a déchaîné la Toile depuis dimanche soir en postant une photo de lui grimé en basketteur noir. Un nouveau « blackface » qui a poussé l’attaquant à présenter ses excuses.

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D’où vient le « blackface » ? 20 Minutes a posé la question à Nicolas Bancel, historien, professeur à l’université de Lausanne et auteur de L’invention de la race (La Découverte).

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Historiquement, d’où vient le « blackface » ?

C’était de petits sketchs pendant lesquel des comiques blancs se griment en personnages noirs qui font leur apparition aux Etats-Unis vers la fin du XVIIIe siècle ou début du XIXe. A l’époque, ce sont de courts intermèdes pendant des spectacles, dans des numéros de foires. Ces sketchs, souvent racistes, montrent des caricatures de Noirs, un être grotesque, peu ou pas éduqué. Les femmes sont, elles, caricaturées en nounous noirs, femmes vénéneuses ou idiotes. C’est un véritable répertoire de stéréotypes. Qui s’inscrivent dans une société esclavagiste jusqu’à 1865 et où la ségrégation raciale demeure jusqu’aux années 1960…

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Mais il faut souligner que dans ces spectacles aux Etats-Unis, on caricature aussi les Irlandais, les Italiens, les Juifs… Le « blackface » devient un spectacle à part entière, nommé le minstrel show, vers 1850 aux Etats-Unis et arrive en Europe autour des années 1880. Cette tradition, on la retrouve au cinéma à la fin des années 1880, des petits films de trois ou quatre minutes dans lesquels des acteurs blancs se griment et caricaturent des personnes noires. On sait qu’un film des frères Lumière dévoile un acteur blanc grimé en Noir dans le lit d’une blanche. Le vaudeville aussi va utiliser le « blackface ».

En France, est-ce qu’il y a une histoire spécifique de cette tradition ?

Oui, on trouve deux types de « blackface » : celui transmis par les Américains avec l’apparat du « nègre » américain : chapeau haut de forme, queue-de-pie, vêtements voyants, ce qui est censé caractériser le côté superficiel des Noirs. Mais on trouve aussi des personnages qui ressemblent aux populations rencontrées lors des conquêtes coloniales : des tirailleurs sénégalais, notamment affublé du langage « petit nègre », dévalorisant et qui fait beaucoup rire à l’époque. Mais ces « blackfaces » ne sont qu’une petite partie du paysage de la culture coloniale avec 250 films coloniaux entre 1890 et 1939, des dizaines d’expositions coloniales, des zoos humains…

Pourquoi le « blackface » n’est pas un déguisement comme un autre ?

Parce qu’il a toute cette histoire. Il garde une connotation raciste.

Certains voient dans ces attaques un retour du politiquement correct. Cet été on a vu une polémique sur une jeune fille blanche qui s’est fait des tresses africaines. En matière d’appropriation culturelle, jusqu’où faut-il aller dans la réglementation ?

Je fais une différence entre se faire des tresses africaines, qui n’a rien de choquant et montre que dans une société multiculturelle, il existe des métissages. Et des images qui ont une connotation historiquement douloureuse pour certaines populations. Toute appropriation culturelle est lestée le poids historique. Pour prendre un exemple extrême, il ne viendrait à personne l’idée de se travestir en nazi sans savoir à quoi s’attendre…

Pourquoi les Américains sont plus sensibilisés que les Français au racisme du blackface ?

Parce que c’était l’un des combats du mouvement des droits civiques. Martin Luther King en personne y voyait une caricature honteuse des Afro-américains. A partir des année 1960, ça disparaît progressivement aux Etats-Unis. En France, on n’a pas vécu cette révolution.

Avant Antoine Griezmann, une journaliste de Elle, des étudiants de d’Edhec s’étaient fait épingler sur la Toile pour avoir publié un « blackface », est-ce la marque en France d’une ignorance ou d’un racisme ?

Cela révèle un profond oubli des origines racistes de ces spectacles. Ce qui est un peu logique car ils étaient plus répandus aux Etats-Unis qu’en France, où cela a quasiment disparu dans l’entre-deux-guerres. Mais plus largement, on ignore trop les représentations mentales héritées de la colonisation. Qui sont peu analysées et dont les effets se font encore sentir. Qu’on soit noir ou blanc, on continue à être construit par des représentations différentialistes, parfois hiérarchisantes. Cela participe probablement du retour de l’extrême droite en Europe, fort d’un discours raciste ancré historiquement. Si le travail de mémoire a été en partie entamé depuis vingt ans en France, la colonisation reste un sujet délicat et conflictuel. On l’a vu par exemple au moment de la polémique sur l’exposition Exhibit B, qui voulait dénoncer le racisme et qui a choqué des associations noires.