Adolescents et pornographie: «L'éducation sexuelle à l'école est fondamentale»
INTERVIEW•Le Dr Gilles Lazimi plaide pour la généralisation des cours d’éducation sexuelle et affective dans les établissements scolaires…Propos recueillis par Anissa Boumediene
L'essentiel
- Le président Macron envisage de confier le contrôle du contenu des vidéos, y compris pornographiques, au CSA.
- Le chef de l’Etat entend protéger les jeunes enfants et adolescents exposés très tôt à des images inappropriées.
- Le Dr Gilles Lazimi rappelle l’importance de l’éducation sexuelle et affective à l’école.
Il veut recadrer les choses. A l’occasion le 25 novembre dernier de la Journée contre les violences faites aux femmes, le président Emmanuel Macron, face à l’omniprésence de la pornographie sur internet, accessible aux enfants, a annoncé vouloir étendre les pouvoirs du CSA au contrôle des contenus vidéos numériques et ainsi mieux réguler l'accès des jeunes à la pornographie. Car aujourd’hui, plus besoin de magazines ou de cassettes vidéo échangés sous le manteau, c’est bien tranquillement, cachés dans l’intimité de leur chambre que les ados disposent d’un accès très facile à la pornographie. Alors même que leur vie sexuelle n’a pas encore commencé, nombre d’adolescents ont déjà visionné des images pornographiques. Ainsi, à l’âge de 11 ans seulement, 14 % des adolescents ont déjà regardé un porno. Des chiffres qui grimpent à 51 % des 15-17 ans. Un phénomène dangereux chez le jeune public qui forge sa sexualité sur des représentations qui n’ont rien de réel. Pour le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste au centre de santé de la ville de Romainville (Seine-Saint-Denis) et membre du haut conseil à l’égalité femmes-hommes, contrôle parental et éducation à la sexualité à l’école sont les clés pour préserver les adolescents de l’impact de ces images.
Les enfants et jeunes adolescents ont-ils facilement accès à des images à caractères pornographiques ?
Absolument ! Internet, que ce soit les sites dédiés ou les réseaux sociaux, est inondé d’images pornographiques. Il est extrêmement facile pour des jeunes de tomber délibérément ou accidentellement sur ce type de contenus. C’est pourquoi il incombe aux parents d’effectuer un contrôle des écrans. Il leur revient aussi la responsabilité de s’interroger sur les écrans mis à disposition de leurs enfants : leur confier trop jeunes des smartphones et autres tablettes sur lesquels ils auront tout le loisir de visionner des contenus inappropriés est un risque que les parents doivent appréhender et anticiper.
Mais confier le contrôle de ces contenus en ligne au CSA est une voie intéressante.
Quel impact l’exposition à de telles images peut-elle avoir sur la construction de la future vie sexuelle des jeunes adolescents ?
Un enfant ou un jeune adolescent qui évolue dans un milieu favorable, dans une famille où il n’y a pas de stéréotypes sexistes en place ne sera pas influencé par les vidéos pornographiques qu’il aura pu visionner. Son environnement et sont éducation lui auront donné les outils pour lui permettre de faire la part des choses et ne pas construire sa sexualité sur la base de simples images. Beaucoup d’adolescents regardent des films pornos sans que cela ne représente pour eux la réalité de la sexualité, dans le rapport à l’autre et aux sentiments.
En revanche, s’il s’agit d’un jeune qui grandit dans une famille où les rapports entre les membres ne sont pas très sains et qu’il visionne des images colportant des stéréotypes sexistes, il risque d’être influencé et de reproduire certains schémas. C’est en premier lieu auprès de ces jeunes-là, plus vulnérables, qu’il faut réaliser un travail d’écoute et de décryptage de ces images.
Comment accompagner ses enfants face au risque pornographique ? Faut-il interdire ? Parler avec eux ?
Interdire, je ne sais ni comment on peut le faire en pratique, ni si c’est efficace, mais la question du contrôle parental est toutefois très importante.
Il est très facile d’accuser les films pornos de nombreux maux, mais il ne faut pas oublier que chacun a un rôle à jouer. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a un gros travail de pédagogie à assurer. D’abord en instaurant une culture de l’égalité dans la société : quand on aura réellement réussi à éduquer le grand public, y compris les enfants dès leur plus jeune âge, à l’importance de l’égalité entre les sexes, quand on aura réussi à empêcher le harcèlement sexiste, les blagues sexistes et qu’on sera débarrassés des stéréotypes sexistes, ces images à caractère pornographique n’auront tout simplement plus de valeur.
En attendant d’atteindre cet objectif, l’éducation à la sexualité et à l'égalité à l’école et dans les familles est fondamentale et capitale. Or à ce jour, seulement un tiers des établissements scolaires dispensent les trois heures de cours de vie sexuelle et affective pourtant prévues par l’Education nationale.