Harcèlement de rue, violences sexuelles... Que pensent les policiers des mesures annoncées par Emmanuel Macron?
SECURITE•Des syndicats de police expriment leur scepticisme concernant certaines mesures annoncées par Emmanuel Macron pour lutter contre le harcèlement de rue et les violences sexuelles…Thibaut Chevillard
L'essentiel
- Le président de la République a annoncé, samedi, plusieurs mesures pour lutter contre le harcèlement de rue et les violences faites aux femmes.
- Certaines mesures n’ont pas convaincu une partie des syndicats de police.
«Ce sont des mesures difficilement applicables au quotidien. Avant de les annoncer, il aurait dû consulter les policiers de terrain. » Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat Vigi Ministère de l’Intérieur n’en démord pas : les mesures annoncées, samedi, par Emmanuel Macron pour lutter contre le harcèlement de rue et les violences faites aux femmes sont non seulement compliquées à mettre en œuvre, mais elles « ne permettent pas de régler le problème ». Pour lui, il ne s’agit que d’une opération « de com' ».
Dans son discours prononcé à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le président a notamment annoncé la création d’un « délit d’outrage sexiste qui sera verbalisable immédiatement pour un montant dissuasif ». Une annonce qui n’a pas manqué de faire réagir des policiers présents sur Twitter, certains relevant qu’un délit ne peut pas faire l’objet d’une contravention.
« Les contraventions et les délits, ce sont deux catégories juridiques bien distinctes », explique Alexandre Langlois. « Pour les délits, il faut que la victime dépose plainte. Il y a une procédure judiciaire diligentée par un procureur qui décidera des suites à donner. S’il décide de poursuivre, une enquête sera menée, permettant d’entendre chaque partie, de visionner les bandes des vidéos des caméras de surveillance », ajoute le syndicaliste, soulignant qu’il s’agit d’une « une procédure chronophage » mais qui aurait le mérite de montrer « que la victime d’un harcèlement de rue est prise en considération ».
Par contre, si l’objectif est de contraventionnaliser le harcèlement de rue, « il faudra que les agents constatent l’infraction, comme lorsqu’un automobiliste grille un feu rouge, poursuit Alexandre Langlois. « Cette mesure comporte un aspect dissuasif, mais il n’est pas certain qu’elle règle le problème », estime de son côté Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternative Police CFDT, soulignant qu’il va être « compliqué pour des policiers, qui ont déjà la tête sous l’eau, de caractériser le harcèlement de rue ». En effet, cette infraction n’est pour l’instant pas clairement définie dans la loi. Un texte devrait néanmoins être présenté au Parlement en 2018.
« Déshumaniser l’écoute »
Emmanuel Macron a également indiqué qu’un « signalement en ligne pour les victimes de violences, harcèlements et discriminations » sera mis en place « dès le début de l’année prochaine ». « En évitant à la victime de se déplacer, ce système permettra à la victime d’être orientée et accompagnée de chez elle dans ses démarches vers les commissariats ainsi que vers les associations qui peuvent lui venir en aide ». Pour le secrétaire général du syndicat Vigi, ce système de pré-plainte en ligne va « encore déshumaniser l’écoute, dans un moment où la personne a besoin justement d’être prise en considération ».
Au contraire, pour Denis Jacob, cette mesure constitue « un outil d’aide à la libération de la parole dans le cadre d’une démarche judiciaire ». « Il est toujours compliqué pour une victime, d’évoquer ce genre d’affaire, même dans un commissariat de police. Pour elle, il est peut-être plus facile d’expliquer ce qu’elle a vécu derrière un écran d’ordinateur. » Le syndicaliste remarque que souvent, « les victimes se décident à porter plainte mais, par peur de représailles, font machine arrière ». Avec ce système, « les policiers pourraient revenir vers elle si la plainte définitive n’est pas déposée, afin d’essayer de comprendre pourquoi elle n’a pas osé aller au bout de sa démarche ».
aLe secrétaire général d’Alternative police CFDT constate surtout que les commissariats « ne sont pas organisés pour accueillir dans de bonnes conditions les victimes de violences sexuelles ». « Elles sont traitées comme les autres plaignants, alors que l’approche devrait être différente », confie-t-il, jugeant nécessaire la présence de psychologues « avant même la prise de plainte ». Selon lui, il est surtout important de former davantage les policiers aux violences faites aux femmes lors de leur scolarité.
Un constat que partage Alexandre Langlois. « Dans les écoles de police, les agents sont formés pour bien faire attention aux droits des auteurs. Il est urgent de former les policiers à soutenir les victimes », dit-il. Mais il souligne « qu’on ne peut pas donner qu’une réponse pénale à un problème de comportement en société ». « Les policiers sont le dernier maillon de la chaîne. Ils interviennent lorsqu’une victime doit être protégée. Il y a tout un travail d’éducation, de sensibilisation, qui doit être fait avant leur intervention. »