EXCLUSIFUn intersexe dépose plainte contre ceux qui l’ont fait «devenir» un homme

Une personne intersexe dépose plainte contre les médecins qui l’ont opérée pour «devenir» homme

EXCLUSIFCamille*, 38 ans, reproche à quatre médecins et deux hôpitaux de lui avoir fait subir sept opérations durant l’enfance afin de le faire « devenir » un homme…
Vincent Vanthighem

Vincent Vanthighem

L'essentiel

  • Camille* est né avec des caractéristiques sexuelles masculines et féminines.
  • Durant l’enfance, il a subi sept opérations afin de le faire « devenir » homme.
  • Il a déposé une plainte visant quatre médecins et deux hôpitaux.
  • Le parquet de Clermont-Ferrand a ouvert une « information judiciaire ».

Pour le chirurgien, cela n’était qu’un « simple problème de tuyauterie » à résoudre. Pour Camille*, le début des souffrances. Selon nos informations, une juge de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) instruit depuis plus d’un an la plainte de cette personne intersexuée pour « violences volontaires sur mineur ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». Une première en France qui pourrait conduire à un procès d’assises.

Née en 1979 avec des caractéristiques sexuelles féminines et masculines à la fois, elle reproche, aujourd’hui, à quatre médecins et deux hôpitaux de lui avoir fait subir, durant l’enfance, sept interventions chirurgicales afin de la faire « devenir » un homme. Sans le consentement éclairé de ses parents. « Mon intersexuation ne me mettait pas en danger de mort. Mais ça, on ne l’a jamais expliqué à mes parents, déplore Camille. Pour les médecins, il fallait forcément me faire entrer dans une case... »

« J’ai l’impression de pisser des lames de rasoir… »

Ils ont donc opté pour la case masculine quand Camille avait trois ans. Celle dont il était le plus proche à l’époque. Pectoraux gonflés et barbe de quelques jours soigneusement entretenue, cet infirmier de 38 ans l’assume désormais pleinement. Mais il souffre toujours des conséquences des opérations. « J’en viens à calculer tout ce que je bois parce qu’à chaque fois que je dois aller aux toilettes, j’ai l’impression de pisser des lames de rasoir, lâche-t-il. Le sexe, c’est pareil. Je prends du plaisir tout en ayant extrêmement mal ! »

Mais pourrait-il seulement en prendre si les médecins ne l’avaient pas opéré ? « Impossible de savoir ce que ma vie serait devenue sans les interventions, rétorque-t-il. Le plus violent, c’est qu’ils ont pris la décision. Mais c’est à moi d’en payer le prix… »

Il a ainsi dû assumer, dès la classe de CE1, les premiers signes d’une puberté rendue précoce par le traitement hormonal. Il a dû répondre, à 12 ans, à un médecin qui lui demandait, devant ses parents, s’il « band[ait] enfin droit ». Et surtout, personne ne peut lui dire, encore aujourd’hui, s’il risque de transmettre le « mal » dont il souffre aux enfants qu’il désire.

Statue d'Hermaphrodite (premier plan), au Victoria & Albert Museum de Londres.
Statue d'Hermaphrodite (premier plan), au Victoria & Albert Museum de Londres. - Nils Jorgensen /REX/SIPA

Une naissance sur 4 000 par an en France, selon une estimation

Car la douleur de Camille est indéniable. Tout comme la dimension militante de sa démarche. « J’ai attendu d’avoir 36 ans pour comprendre que j’avais été mutilé, assure-t-il. Je veux maintenant éviter cela aux autres enfants. »

Difficile de savoir combien de bébés naissent chaque année en France en état d’intersexuation. Deux cents, comme l’estiment certains médecins ? Deux mille à 4 000, comme le pensent plusieurs associations ? Faute d’étude officielle, le Sénat, a émis, en 2016, la recommandation que soit réalisée une cartographie précise par le Centre de références des maladies rares (CRMR).

François Hollande n’a pas attendu les résultats pour s’emparer du sujet. En mars 2017, avant de quitter l’Elysée, il a demandé que soient interdites les opérations chirurgicales menées sur les enfants en situation d’intersexuation. « Elles sont de plus en plus largement considérées comme des mutilations », avait-il même estimé à l’époque.

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Il n’est pas le seul à le réclamer. « Le comité contre la torture de l’ONU, en mai 2016, et le Conseil de l’Europe, en octobre 2017, ont pris exactement la même position, précisent Benjamin Pitcho et Mila Petkova, les avocats qui défendent Camille. Mais les médecins semblent sourds… »

« La notion de "sexe d’élevage" est importante », selon les médecins

« Ne pas opérer ces enfants aujourd’hui, c’est être rétrograde ! », répond Antoine Faix, responsable du comité d’andrologie et de médecine sexuelle à l’Association française d’urologie. Installé à Montpellier (Hérault), ce médecin pointe, lui, le risque pour le développement des enfants que l’on laisserait vivre avec des caractéristiques sexuelles masculines et féminines à la fois.

« Au-delà de deux ans, il est essentiel qu’un enfant soit élevé comme petit garçon ou petite fille au risque de ne pas trouver sa place ensuite, avance-t-il. L’expression est malheureuse, mais c’est ce qu’on appelle le "sexe d’élevage". » Reconnaissant que les résultats des interventions chirurgicales ne sont pas « toujours très bons », ce spécialiste n’est pourtant pas prêt à accorder aux personnes intersexuées le droit à l’autodétermination qu’elles réclament. « Ce sont les parents qui décident pour elles à la naissance, poursuit-il. Et je vous mets au défi de trouver un couple qui acceptera d’élever son bébé dans cet entre-deux comme s’il n’était ni un petit garçon ni une petite fille ! »

La juge devrait ordonner une « expertise médicale pointue »

Les parents de Camille étaient, eux, profanes en matière de médecine. « Mon état ne leur a donc jamais été expliqué dans un langage clair et compréhensif, poursuit le plaignant. C’était en 1979. Aujourd’hui, je pense qu’il est temps de dire aux médecins qu’ils sont hors-la-loi ! »

C’est à la justice d’en décider dorénavant. Déposée à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) en 2016, sa plainte a entraîné l’ouverture d’une information judiciaire. Selon nos informations, la juge chargée du dossier devrait ordonner prochainement « une expertise médicale pointue » de la situation de Camille. « L’idée est ensuite d’entendre tous les personnels médicaux, de saisir les dossiers et d’organiser des confrontations, confie le parquet de Clermont-Ferrand. C’est un dossier très complexe qui se terminera soit par un non-lieu qui sera alors sans doute contesté jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme, soit par le renvoi de plusieurs praticiens devant une cour d’assises… »

* Le prénom a été changé