EGALITEComment mieux répartir la charge mentale dans le couple?

Charge mentale: Comment passer de la prise de conscience à un vrai changement de société?

EGALITEA l’occasion de la sortie du livre de Titiou Lecoq sur le combat féministe à l’intérieur du foyer, « 20 Minutes » a tenté de faire le tour de la question de la charge mentale, vulgarisée par la BD d’Emma…
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

L'essentiel

  • Depuis mai, les réseaux sociaux et médias se sont emparés de la question de la charge mentale, ce travail d'anticipation, d'organisation souvent épuisant pour les femmes, un concept expliqué par la dessinatrice de BD Emma dans Fallait demander.
  • Sorti début octobre, l'essai de Titiou Lecoq Libérées insiste à nouveau sur la répartition inégalitaire de cette charge et assure que la révolution féministe passe aussi par un meilleur équilibre au sein des couples.

Il y a dix ans, j’avais repéré sur le frigo de ma tante le planning hebdomadaire familial. Entre le tennis et le hip-hop, un soir sur deux, c’est mon oncle qui était chargé du dîner. Depuis, j’ai mesuré l’intérêt d’avoir une répartition claire et égale (au moins sur le papier), surtout quand la famille s’élargit. Et depuis quelques mois, l’expression « charge mentale » fleurit aussi bien dans les médias que dans les conversations privées.

Si vous n’avez pas navigué sur Internet depuis six mois, la charge mentale, c’est ce concept vulgarisé par la BD d’Emma depuis mai, du travail d’anticipation, organisation invisible qui incombe souvent aux femmes dans les couples hétérosexuels. En ce mois d’octobre, un nouvel ouvrage en remet une couche : Libérées, le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale de Titiou Lecoq (Fayard).

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Une prise de conscience évidente

Pour cette blogueuse, journaliste et romancière, il y a eu une prise de conscience, mais voir un changement concret va prendre du temps. « Le fait de mettre un mot dessus, c’est déjà une avancée. Et les exemples concrets de la BD d’Emma ont permis une prise de conscience chez des femmes et des hommes. »

Emma n’a pas de doute sur la prise de conscience collective : « Je ne pensais pas que ma BD passerait à ce point la barrière militante. Et du côté des hommes, j’ai été heureusement surprise. En comparant avec la sphère professionnelle, ça leur a parlé. Je pense que ça a permis d’ouvrir le dialogue. »

Une bulle de la BD d'Emma Fallait demander, qui a vulgarisé le concept de charge mentale.
Une bulle de la BD d'Emma Fallait demander, qui a vulgarisé le concept de charge mentale. - Emma

Et quelques critiques…

Et pourtant, certains estiment que ce combat n’est pas aussi important que les luttes féministes d’antan. Ou qu’on entend trop parler de la charge mentale. « Même si c’est compliqué de faire des généralités, j’ai l’impression que beaucoup d’hommes ne sont pas convaincus que la charge mentale, c’est important, nuance Titiou Lecoq. En revanche, beaucoup de femmes ont pris conscience que ce n’est pas tenable d’avoir une carrière brillante, faire soi-même les compotes bio, organiser les vacances… »

« La charge mentale ne se résout pas avec des post-it et des listes »

Emma a parfois été déçue par l’écho pas toujours fidèle à son message dans certains médias. Un décalagequ’elle a mis en bulles avec humour. « On continue de penser que c’est un problème de femme, qu’il faut alléger la charge mentale en s’organisant mieux, mais ça ne se résout pas avec des post-it et des listes, mais en répartissant mieux », attaque-t-elle.

Faire le ménage dans son propre couple

Justement, Titiou Lecoq l’assure : c’est à chacun d’entre nous de modifier l’équilibre privé : « discuter avec son conjoint pour changer les choses, c’est moins compliqué que négocier avec les instances étatiques. »

Aucun doute, c’est un travail d’équipe. Si les hommes doivent sortir de leur confort, « les femmes ont un effort à faire sur elles-mêmes, assure Titiou Lecoq. Aujourd’hui, quand je travaille, je m’interdis de penser à quelque chose pour la maison, je compartimente. On a beaucoup parlé de la double journée des femmes. Mais en réalité, les deux espaces-temps se superposent. » Encore plus aujourd’hui avec les nouvelles technologies qui brouillent la frontière entre privé et professionnel. « Les jeunes femmes dans le métro, elles regardent leurs mails, constate Pascale Molinier, professeure de psychologie sociale à l’université Paris-XIII.

« Mais c’est aussi dire à son conjoint, c’est toi qui t’occupes de tel dossier de A à Z. Ce qui n’a rien d’évident ! » Titiou raconte ainsi dans son livre que lorsqu’elle a chargé son compagnon d’emmener son fils malade chez le pédiatre, il a fini par avoir le tympan percé… « Quand ça touche aux enfants, c’est la situation où on va avoir le plus tendance à ne pas être égalitaire », assure-t-elle.

Une autre bulle d'Emma de sa BD Fallait demander, sur la charge mentale.
Une autre bulle d'Emma de sa BD Fallait demander, sur la charge mentale.  - Emma

Or, c’est surtout après la naissance du ou des enfants que les choses se gâtent. Et que beaucoup se posent la question d’éviter les stéréotypes de genre dans leur éducation. « Je me suis rendu compte que j’aurais beau dire à mes garçons que les hommes et les femmes sont égaux, s’ils me voient tout faire à la maison, ça ne marche pas, reconnaît la journaliste. Ils s’identifient à leur père. De même, j’ai pris conscience que c’était plus important de parler à mes fils d’émotions, que d’éviter les jouets genrés. »

Une réponse politique ?

Pour Emma, la révolution du linge sale ne suffira pas : « on peut améliorer des choses chacune à notre niveau, mais la politique doit être faite collectivement. Les femmes doivent se mettre en réseau pour défendre leurs droits. Beaucoup de personnes m’ont contactée pour partager leurs astuces sur la charge mentale. J’aime bien le yoga, mais à un moment, ça ne suffit pas ! »

Une analyse partagée par la psychologue sociale Pascale Molinier. « Dès les années 1980, la seconde vague du féminisme explique que faire le ménage, c’est travailler. Depuis, la place de la femme a beaucoup changé au travail, mais peu à la maison. » En effet, selon une étude de l’Insee de 2015, deux tiers des tâches ménagères sont assumées par les femmes, un tiers par les hommes. Et ces chiffres ne prennent évidemment pas en compte la charge mentale, difficile à évaluer.

« La nouvelle donne, c’est que les femmes qui ont les moyens, voyant la résistance masculine, préfèrent prendre une femme de ménage pour éviter les scènes de ménage. Il reste beaucoup à faire pour trouver comment s’émanciper sans exploiter des femmes plus pauvres. Il faut que cette prise de conscience se traduise politiquement pour une société du "care" (soin en anglais) : les femmes s’occupent beaucoup des enfants, mais aussi des personnes âgées, des handicapés, de la maison… »

Cette question de charge mentale intéresse peu les politiques. « Je pense qu’il y a une déconnexion entre les instances gouvernementales qui tendent à pousser les femmes à prendre la même position que les hommes, c’est-à-dire faire carrière, gagner de l’argent, être célèbre, leader et les aspirations des femmes, qui pour beaucoup d’entre nous ont surtout envie de passer du temps avec leurs proches, d’apprendre, de s’engager », reprend Emma, qui plaide pour un congé paternel égal au congé maternel. Ces personnes au pouvoir ont souvent du personnel à qui déléguer le ménage et les enfants. »

« Malheureusement, la vie quotidienne et dépenser plus pour des tâches faites gratuitement depuis toujours, ce n’est pas des questions sérieuses pour nos politiques », renchérit Pascale Molinier. Qui reste optimiste. « Ces débats sur la charge mentale mettent le problème dans la sphère publique. Mais il faut avoir une réflexion politique de fond, sur la place du travail dans nos sociétés et à quel prix on travaille ? » Emma publie justement le 9 novembre une nouvelle BD qui s’intéresse au travail. Et si elle suscitait un nouveau débat de société ?

>> Faire le dîner un soir sur deux, laisser le linge sécher jusqu’à la fin des temps ? Qu’est-ce que vous avez mis en place pour rééquilibrer la charge mentale chez vous ? On attend vos contributions dans les commentaires ou à [email protected]. Vos témoignages pourront nourrir un futur article.