Harcèlement sexuel: Comment réagissent les entreprises face à ces comportements?
TRAVAIL•L’affaire Weinstein a poussé de nombreuses femmes à s’exprimer sur le sujet et force les entreprises à s’interroger…Delphine Bancaud
L'essentiel
- Seules trois femmes sur dix ont parlé à leur employeur du harcèlement sexuel qu’elles subissaient.
- Elles craignent de payer le prix de leurs révélations.
- Les auteurs des faits sont rarement sanctionnés.
La parole se libère peu à peu. A la suite du scandale Weinstein aux Etats-Unis, des centaines de femmes ont témoigné sur Twitter du harcèlement sexuel qu’elles ont subi au travail sous le hashtag #BalanceTonPorc. De quoi accélérer la prise de conscience de ce fléau par la société et interpeller les dirigeants d’entreprise.
Car l’omerta semble encore de mise, comme le souligne une enquête du Défenseur des droits publiée en mars 2014. Selon celle-ci, 20 % des femmes actives disent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle. Seules trois sur dix en ont parlé à leur employeur. Une loi de silence qu’explique Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes : « De nombreuses entreprises nient le fait qu’elles peuvent être concernées par le sujet. Du coup, les femmes ne font pas confiance à leur hiérarchie et pensent que si elles parlent, cela va se retourner contre elles ».
« Certaines femmes se demandent si ce qu’elles diront sera entendu », complète Bénédicte Ravache, secrétaire générale de l’ANDRH (Association nationale des DRH). Par ailleurs, les victimes de ce type de comportement ne savent pas vraiment à qui se confier : doivent-elles alerter leur supérieur hiérarchique (si ce n’est pas le harceleur) ? Le DRH ? Un délégué du personnel ? Le médecin du travail ?
Parler coûte parfois cher
« Lorsqu’il est saisi d’un tel cas, le service des ressources humaines diligente une enquête. Il a un entretien approfondi avec la personne qui signale le harcèlement et avec la personne incriminée », explique Bénédicte Ravache. « Si les faits sont avérés, les sanctions peuvent aller, selon la gravité des faits, de l’avertissement à la mise à pied en allant jusqu’au licenciement pour cause réelle et sérieuse », poursuit-elle. « Le service des ressources humaines peut encourager la victime à porter plainte. Il doit aussi s’assurer qu’elle bénéficie d’un accompagnement psychologique », ajoute-t-elle.
Reste que sur le terrain, ces affaires ne sont pas toujours gérées de manière optimale. Et parfois même, les victimes de harcèlement sexuel subissent une double peine. Selon l’enquête du Défenseur des droits, parmi les 30 % des femmes qui ont alerté leur employeur du harcèlement sexuel qu’elles ont subi, 40 % de celles-ci estiment que l’affaire s’est achevée à leur détriment (non-renouvellement de contrat, placardisation, blocage dans la carrière…).
L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) est même encore plus pessimiste en affirmant que 95 % des femmes perdent leur travail quand elles dénoncent des faits de harcèlement. « Les entreprises ne savent pas bien gérer ces situations. Une des solutions les plus fréquentes, c’est d’éloigner la victime de son agresseur. Cela est vécu par elle comme une forme d’ostracisation injuste, qui l’amène à quitter l’entreprise », observe Corinne Hirsh.
Selon Anne-Cécile Mailfert, les entreprises ne sanctionnent pas toujours les harceleurs comme elles le devraient : « Le harceleur occupe généralement une position supérieure dans l’entreprise par rapport à celle de sa victime. C’est souvent un bon professionnel qui a su se rendre indispensable et il est protégé par son pouvoir et son influence. Par ailleurs, on demande à la victime d’apporter des preuves tangibles de ce qu’elle a vécu, ce qui n’est pas toujours facile, car bien souvent il n’y a pas eu de témoin », indique-t-elle.
Renforcer la prévention et les sanctions
Pourtant, des solutions existent pour faire reculer le harcèlement sexuel en entreprise. Cela passe d’abord par la prévention de ce type de comportement, comme le souligne Bénédicte Ravache : « C’est le rôle de l’entreprise de rendre perceptible ce qui autorisé et ce qui ne l’est pas. Elle doit par exemple, spécifier dans son règlement intérieur, ce qu’est le harcèlement sexuel et comment il est sanctionné ».
Corinne Hirsh va dans le même sens : « Les entreprises doivent sensibiliser leurs managers au sexisme et au harcèlement. Il faut sortir de la banalisation en martelant qu’une blague grivoise répétée dix fois peut conduire à des gestes déplacés et n’est pas tolérable », souligne-t-elle. « D’autant qu’en communiquant sur le sujet, les employeurs manifestent clairement leur hostilité aux agresseurs, ce qui peut les inciter à renoncer au passage à l’acte », renchérit Anne-Cécile Mailfert.
Autre impératif selon Anne-Cécile Mailfert : « Les dirigeants doivent montrer aux femmes traversant cette situation qu’il existe des voies de recours possibles pour elles. L’employeur doit ouvrir différents canaux de communication permettant aux victimes de s’exprimer, en leur indiquant clairement les coordonnées du médecin du travail, une adresse mail confidentielle du service des ressources humaines, le numéro d’une plateforme d’écoutants extérieur à contacter pour obtenir des conseils… », indique-t-elle.
L’AVFT souhaite aussi que les entreprises n’hésitent plus à sanctionner les auteurs de harcèlement et qu’elles-mêmes écopent de sanctions financières plus lourdes aux prud’hommes lorsqu’elles n’ont pas gardé une salariée ayant dénoncé de tels faits. Une chose est sûre : avec la montée du débat sur le harcèlement sexuel au travail, le statu quo n’est plus possible dans les entreprises.