DROITUne entreprise a-t-elle le droit de ficher ses salariés?

«Vicieux», «branleur»... Une entreprise a-t-elle le droit de ficher ses salariés?

DROITLes intérimaires de la plateforme logistique Leroy-Merlin de Valence ont eu la malheureuse surprise de découvrir qu'un fichier sur leur travail avait été mis en place...
Thibaut Le Gal

T.L.G.

L'essentiel

  • Les intérimaires du Leroy-Merlin de Valence ont, comme certains salariés de Radio France ou Free avant eux, découvert qu’un fichier aux commentaires peu amènes avait été mis en place dans l’entreprise.
  • Eric Rocheblave, avocat spécialiste en Droit du travail au barreau de Montpellier, fait le point avec 20 Minutes sur ce que la loi prévoit en matière de fichage des salariés.
  • La Cnil peut sanctionner les comportements abusifs et un salarié peut porter plainte, en apportant la preuve du préjudice.

«Vicieux », « beurk », « branleur », « mou du genou ». Les intérimaires de la plateforme logistique Leroy-Merlin de Valence ont eu la malheureuse surprise de découvrir qu’un fichier « sauvage » aux commentaires peu amènes avait été mis en place dans l’entreprise, a révélé France 3 Rhône-Alpes. Le syndicat CGT de l’enseigne s’est indigné contre ce fichier en libre accès et décidé de se tourner vers un avocat qui envisagerait de saisir le parquet.

Ce n’est pas la première fois qu’un « listing » peu flatteur des salariés est ainsi découvert. La SNCF, Free, ou plus récemment Radio France ont été épinglés pour des cas similaires. Mais qu’en est-il de la loi ? 20 Minutes fait le point.

Est-ce qu’un employeur a le droit de collecter des données ?

Tout dépend du type de données. « L’entreprise peut bien sûr collecter des informations pour établir par exemple le bulletin de salaire, comme les noms prénoms et adresses de ses salariés. Il peut également collecter des données nécessaires à une mission de travail. Si je dois mettre à disposition d’une personne une tenue professionnelle, je peux avoir besoin de la taille d’un salarié, ou de sa pointure. Mais si je n’ai pas cette nécessité-là, je n’ai pas à obtenir cette information personnelle », indique Eric Rocheblave, avocat spécialiste en Droit du travail au barreau de Montpellier.

Peut-il collecter des informations sur le travail d’un salarié ?

« Les employeurs peuvent porter des appréciations sur le travail des salariés, faire des évaluations quand la rémunération est liée au travail, par sa qualité ou sa quantité. Quand il y a, par exemple, des primes sur le résultat ou des objectifs à accomplir », précise le spécialiste. Ici, la loi précise que « les méthodes et techniques d’évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».

Eric Rocheblave précise : « Il faut que l’appréciation soit non stigmatisante, non discriminante, et qu’elle ne porte pas atteinte à l’honneur des salariés. Enfin, il faut qu’elle soit objective : l’expression "mou du genou" est par exemple une appréciation subjective, et plutôt péjorative. »

Le site de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), chargé de surveiller ces questions, explique que « le responsable doit faire en sorte d’empêcher que des commentaires subjectifs, outranciers voire insultants y figurent. Il peut prévoir des menus déroulants, un système de filtrage de mots-clés ou bien vérifier régulièrement leur contenu ».

Le salarié doit-il être informé par son entreprise ?

Oui, « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance », confirme le Code du travail. Chaque salarié évalué peut également accéder à ses propres données d’évaluation sur simple demande et en obtenir une copie. « Toutes les appréciations doivent être portées à la connaissance du salarié. L’employeur va devoir justifier par des faits objectifs le fondement de telle ou telle donnée: Dans quel but a-t-il mis en place ce fichier ? Tout traitement informatique doit également être déclaré à la Cnil qui est chargée de vérifier la légalité et la proportionnalité des informations recueillies », poursuit Eric Rocheblave.

Un salarié peut-il porter plainte en cas d’abus ?

« Il va falloir apporter la preuve d’un préjudice. Montrer que telle qualification n’était pas objective ou discriminante, qu’elle a eu des conséquences sur une évolution de carrière, une rémunération de manière injuste », répond l’avocat.

La Cnil peut sanctionner les comportements abusifs. « Les sanctions peuvent aller d’un avertissement public comme elle l’a fait récemment avec un organisme spécialisé dans l’aide aux devoirs, jusqu’à une sanction financière. La Cnil peut également transmettre les éléments dont elle dispose à la justice si elle constate des infractions pénales », précise le site.