EDUCATIONL'interdiction du portable au collège est-elle vraiment faisable?

Interdire complètement le portable au collège, est-ce vraiment faisable?

EDUCATIONLes marges de manœuvre des principaux de collège semblent réduites pour appliquer cette mesure…
Un jeune et son téléphone portable.
Un jeune et son téléphone portable. - Pixabay/anar404
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Cette mesure pose un problème juridique, selon les principaux de collège.
  • Il n’y aurait pas suffisamment de casiers dans les collèges pour les ranger.
  • Les déposer dans un bac à l’entrée de la classe ne serait pas non plus une solution.

EDIT : Alors que le projet de loi interdisant le portable à l’école à partir de la rentrée est examiné ce mardi à l’Assemblée nationale, nous vous reproposons cet article rédigé en septembre dernier alors que le ministre de l'Education venait de confirmer l’interdiction du téléphone portable à la rentrée 2018.

C’est une mesure qui peut sembler un peu « gadget », au regard des défis qui attendent l’Education nationale, mais qui figurait pourtant dans le programme électoral d’Emmanuel Macron : interdire le portable dans l’enceinte des collèges. Car actuellement, si l’usage des téléphones est déjà proscrit en classe, les élèves peuvent s’en servir dans les couloirs, la cour, à la cantine…

Le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer a confirmé dimanche, lors du « Grand jury » RTL-Le Figaro-LCI, l’interdiction à la rentrée 2018 du téléphone portable pour les élèves des écoles et collèges.

Au-delà du seul cadre scolaire, dans un « message de santé publique qui concerne les familles », le ministre a souligné qu’il était « bon » que les enfants « ne soient pas devant trop, voire pas du tout, devant les écrans avant l’âge de sept ans ».

« Son utilisation excessive nuit aux apprentissages à cet âge-là »

Et tous les acteurs de l’éducation s’accordent à le dire : il y a bien un problème avec le portable. « Son utilisation excessive nuit aux apprentissages à cet âge-là, car il entraîne un déficit d’attention et de mémorisation chez les élèves », affirme Philippe Tournier, secrétaire général du principal syndicat de chefs d’établissement, le SNPDEN et proviseur du collège/lycée Victor Duruy à Paris. « Pendant la récréation, au lieu de s’oxygéner, de laisser leur cerveau se reposer, les élèves jouent aux jeux vidéo sur leur smartphone. C’est autant d’énergie qu’ils ne mettent pas au service de leurs cours ensuite », estime Michel Richard, ancien principal du collège Jean Philippe Rameau de Versailles.

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Même son de cloche chez Samuel Cywie, porte-parole de la Peep, fédération de parents d’élèves : « Nous sommes favorables à ce que les collégiens soient déconnectés pendant toute la journée scolaire. Car cela limiterait les problèmes de cyber-harcèlement que vivent des collégiens et les conflits qui éclatent entre élèves lorsqu’un portable est volé ou endommagé par un autre », indique-t-il.

Le portable, « source principale de punitions dans tous les établissements »

Et siles portables doivent d’ores et déjà être éteints et rangés dans les sacs à dos des collégiens, force est de constater que le principe est loin d’être suivi à la lettre. « Dans mon collège, des portables sonnaient souvent en classe et des élèves étaient pris en train de pianoter dessus », raconte Michel Richard. « C’est d’ailleurs la source principale de punitions dans tous les établissements », ajoute Philippe Tournier.

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Si le principe même d’une plus grande extinction des portables dans l’enceinte des collèges fait consensus, la manière de la mettre en œuvre pose question. D’autant que Jean-Michel Blanquer est resté assez vague sur le sujet. « La première question qui se pose est juridique. Car si les principaux de collèges ont le droit de restreindre l’usage du portable, ils ne peuvent pas l’interdire complètement, ce qui serait considéré comme une atteinte aux libertés individuelles. Si le ministre souhaite éradiquer le portable des établissements, il va falloir prévoir des évolutions juridiques », prévient Philippe Tournier.

L’application de la mesure pose des problèmes concrets

Par ailleurs, l’interdiction des portables au collège poserait des problèmes matériels, queJean-Michel Blanquer semble balayer d’un revers de la main. « On peut tout à fait imaginer des casiers qui ferment, avoir des solutions différentes d’un endroit à l’autre », avait-il indiqué en septembre dernier lors de l’émission Questions d’infos. « Mais on ne peut pas avoir dans chaque collège 500 casiers individuels et sécurisés. D’autant qu’avec la suppression des emplois aidés à cette rentrée, nous ne disposons pas d’assez de personnels pour opérer une surveillance tous azimuts », souligne Philippe Tournier.

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« Cette mesure est clairement un produit d’appel politique. Qui va vérifier que les collégiens n’ont pas gardé de portables dans les sacs ? A moins de tripler le nombre d’assistants d’éducation, je ne vois pas comment on fera », renchérit Jean-Rémi Girard, vice-président du syndicat d’enseignants, le Snalc. « Ce n’est pas réaliste et cela ne garantit pas que les élèves ne reprendront pas leur portable pour aller le consulter dans les toilettes », ajoute Samuel Ciwie.

Déposer les portable dans une boîte commune à l’entrée de chaque cours

Autre hypothèse évoquée par le ministre de l’Education : que les élèves entreposentleur portable dans une boîte commune à l’entrée de chaque cours. « En Conseil des ministres, nous déposons nos portables dans les casiers avant de nous réunir. Il me semble que cela est faisable pour tout groupe humain, y compris une classe », a-t-il précisé. Mais là encore, cela ne semble pas jouable, selon Philippe Tournier : « Ce simple geste prendrait dix minutes dans une classe d’une trentaine d’élèves. Et le cours commencerait dans le brouhaha et l’agitation », fustige-t-il.

« Cela poserait aussi des problèmes de vie scolaire, car immanquablement certains élèves se tromperont de portable quand ils devront récupérer le leur, ce qui entraînera potentiellement des conflits », estime Samuel Cywie. « Et si des portables sont perdus ou volés, les chefs d’établissement refuseront d’en endosser la responsabilité », complète Philippe Tournier.

La sensibilisation des élèves, une meilleure solution ?

Enfin, la dernière solution serait d’autoriser les chefs d’établissement à utiliser des brouilleurs de portables dans les salles de classe ou dans la cour par exemple. « Sauf que cela signifierait que les enseignants ne peuvent pas utiliser leur téléphone pour appeler au secours si besoin est. Cela semble impossible », souligne Samuel Ciwe.

Pour l’heure, l’interdiction complète du portable au collège apparaît donc comme un vrai casse-tête. Ce qui pousse certaines voix à penser que la mesure proposée par le gouvernement n’est pas la bonne. « Dans mon collège nous avions fait un travail d’éducation pour insister auprès des élèves sur les excès de l’usage du portable. Nous avions aussi demandé aux parents de nous aider à sensibiliser leurs enfants à une utilisation rationnelle du portable. Et cela avait plutôt été efficace », indique Michel Richard. Un exemple à suivre ?