CP à 12 élèves en éducation prioritaire: Une belle mesure côté pile, des inquiétudes côté face
EDUCATION•La réduction des effectifs dans les classes de CP des quartiers les plus défavorisés ne fait pas l’unanimité chez les enseignants…Delphine Bancaud
L'essentiel
- Le dédoublement des classes de CP pose parfois des problèmes de locaux.
- Il a été mis en place, via le redéploiement de certains postes. Au grand dam des profs.
- Certains enseignants ne sont pas convaincus de l’efficacité de la mesure.
- Les profs n’ont pas encore reçu de formation spécifique pour adapter leurs pratiques.
C’est la mesure phare de la rentrée scolaire : la création de classes de CP à 12 élèves dans les REP + (réseau d’éducation prioritaire renforcée) pour mieux les encadrer. La preuve encore avec la visite lundi d’Emmanuel Macron et de Jean-Michel Blanquer d’une école de Forbach (Moselle) afin de vanter à nouveau le dispositif. Une mesure sera étendue au CP des REP et aux CE1 des REP + à la rentrée 2018 et aux CE1 des REP à la rentrée 2019.
Sur le papier, la copie semble parfaite, car tous les enseignants apprécient de pouvoir travailler avec des effectifs moindres. Et des chercheurs (1) ont montré que la réduction de la taille des classes faisait baisser les problèmes de discipline, avait un effet sur la motivation des élèves et sur leur interaction avec les enseignants… Mais sur le terrain, cette mesure semble poser quelques soucis dans sa mise en œuvre et suscite des doutes à plus long terme. 20 Minutes a relevé les objections.
Des problèmes de locaux se posent
Pour diviser les classes de CP en deux, il a fallu pousser les murs afin de trouver à chaque fois deux salles. Pas toujours facile dans les écoles qui accueillent beaucoup d’enfants en raison d’une démographie très forte dans la commune. Selon la rue de Grenelle, cela a été possible dans 86 % des cas. Même si parfois il a fallu réquisitionner la salle d’informatique ou investir dans une construction modulaire.
Mais dans 14 % des cas, deux profs vont être contraints de cohabuter dans la même salle de cours cette année. Avec parfois une fausse cloison ou un paravent pour séparer les deux groupes. Et toutes les communes ne sont clairement pas logées à la même enseigne, car en Seine-Saint-Denis, seulement 56 % des classes de CP ont pu investir deux salles séparées. « Or, il faut avoir de l’espace pour pouvoir bien enseigner à des élèves de CP », estime Pauline, en charge d’un CP à 12 élèves à Vaulx-en-Velin.
On a déshabillé à Paul pour habiller Jacques
Pour mettre en place les CP à 12 en REP +, le ministère de l’Education n’a pas prévu de création de postes spécifiques pour cette rentrée, étant donné qu’elle avait été préparée par le précédent gouvernement. Il a donc fallu se débrouiller avec les moyens existants pour trouver les 2.500 postes nécessaires à sa mise en œuvre, en opérant « un détournement de fonds », ironise même Francette Popineau, secrétaire générale du SNUIpp. « Nous n’avons pas de problème avec une baisse des effectifs, bien au contraire, précise-t-elle » mais le dédoublement des CP en REP + mis en œuvre cette année a lieu en piochant dans les effectifs des remplaçants, des enseignants dédiés à la scolarisation des moins de 3 ans et surtout au dispositif "Plus de maîtres que de classes (PMQC)" ». « Un tiers des enseignants affectés au PMQC ont été redéployés », a d’ailleurs confirmé Jean-Michel Blanquer lors de sa conférence de presse de rentrée.
Ce dispositif, lancé en 2013, consistait à affecter un enseignant supplémentaire en renfort dans les écoles pour permettre la co-intervention auprès d’élèves en difficulté. Il était plébiscité par les profs, même s’il n’avait pas été évalué. « Pendant quatre ans, j’ai participé à la mise en œuvre du PDMQC. Toute l’équipe trouvait qu’il fonctionnait bien, qu’il permettait de faire progresser les élèves et d’améliorer les méthodes pédagogiques des enseignants. Et là, on apprend que le ministre a supprimé une partie des postes dédiés à ce dispositif pour les redéployer afin de dédoubler les CP en REP. C’est très dommage », explique Alice, professeure des écoles dans l’Yonne.
A Vaulx-en-Velin, près d’une école sur deux était d’ailleurs en grève lundi pour la rentrée afin de protester contre les suppressions de postes sur fond de réforme du CP à 12 élèves. « Pour mettre en place les CP à 12, il a fallu supprimer des postes affectés au PMQC, alors que le dispositif portait ses fruits. Par ailleurs, toutes les classes ne seront pas logées à la même enseigne : moi j’aurais 12 élèves de CP dans ma classe, tandis que ma collègue, en aura 26 en CM1 et en CM2. Ce n’est pas cohérent », explique Pauline. Même son de cloche chez Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa : « Ces dédoublements de classe risquent aussi d’avoir pour conséquence une augmentation des effectifs dans d’autres classes ou dans d’autres écoles », redoute-t-il.
L’efficacité de la mesure n’est pas sûre
Même si des études (1) indiquent que des effectifs allégés favorisent la réussite en primaire, il n’empêche que la communauté éducative n’est pas unanime sur le sujet. En cause, l’expérimentation de CP dédoublés sous Luc Ferry entre 2002 et 2004, qui avait porté sur 200 classes. Elle avait été abandonnée, car jugée trop coûteuse et peu probante. « Le dédoublement du CP n’est pas en soi un facteur de réussite », avait d’ailleurs reconnu Luc Ferry dans une interview parue dans Le Parisien.
« Je suis assez dubitative sur l’efficacité de la mesure si elle ne s’étale pas sur plusieurs années. Car si c’est pour mettre les enfants en classe de 12 pour que l’année d’après ils soient noyés dans un grand groupe, cela ne portera pas ses fruits. C’est bien de mieux les accompagner dans l’apprentissage de la lecture en CP et en CE1, mais il faut les aider ensuite à comprendre ce qu’ils lisent », estime Pauline. Certains enseignants craignent aussi que le nombre de 12 élèves ne soit pas suffisant pour créer une dynamique de classe, l’enseignant devant s’appuyer sur un petit groupe de bons élèves pour tirer les élèves vers le haut. « Or, une classe à 12 élèves repose encore plus sur les individus qui la composent. Cela peut entraîner un manque d’émulation entre les élèves », avance Stéphane Crochet.
La question de la formation des enseignants se pose
Pour optimiser les conditions de réussite du dispositif, Jean-Michel Blanquer a indiqué que les enseignants affectés aux CP dédoublés devaient avoir plus de trois ans d’expérience. Reste que ce n’est pas un gage suffisant pour Claire Krepper, secrétaire nationale du Se-Unsa : « Ce dispositif ne peut pas fonctionner en soi. Un accompagnement soutenu des enseignants est nécessaire pour les aider à adapter leur pédagogie », souligne-t-elle. Un avis partagé par Pauline : « On n’enseigne pas de la même manière à 24 élèves qu’à 12. Or, je n’ai reçu aucune formation pour adapter mes pratiques pédagogiques », alerte-t-elle.
Ce à quoi la rue de Grenelle répond : « Tous les professeurs concernés recevrontune formation spécifique à ce nouveau contexte d’enseignement ». Mais on ne sait pas quand, ni comment.