Comment Jean-Michel Blanquer compte diminuer les effectifs en éducation prioritaire?
EDUCATION•Le gouvernement veut réduire les effectifs à 12 élèves en CP et CE1 de REP et de REP +…Delphine Bancaud
L'essentiel
- Réduire la taille des classes aurait des effets bénéfiques sur les apprentissages.
- Selon le programme d’Emmanuel Macron, cette mesure devrait nécessiter l’intervention de 12.000 enseignants.
- Du coup, les enseignants craignent la disparition du dispositif « Plus de maîtres que de classes ».
- Et toutes les écoles ne disposent pas de locaux assez grands pour pouvoir dédoubler les classes.
C’est une des mesures phares du programme éducatif d’Emmanuel Macron pendant la présidentielle : limiter les classes de CP et CE1 de l’éducation prioritaire à 12 élèves. Une manière de « lutter contre les difficultés scolaires », explique à 20 Minutes le ministère de l’Education.
« La recherche française et internationale montre en effet que réduire la taille des classes a des effets bénéfiques sur les apprentissages. Surtout si l’on baisse les effectifs de manière importante et si la mesure est ciblée sur les élèves issus de milieux sociaux défavorisés », renchérit Nathalie Mons, présidente du Conseil national d’évaluation du système scolaire. Des bénéfices qui sont selon elle, particulièrement élevés en primaire et beaucoup plus modestes plus tard dans la scolarité. « Les classes à effectifs réduits permettent un meilleur suivi de chaque élève et une résolution plus facile des problèmes d’indiscipline », ajoute-t-elle.
Comment trouver autant d’enseignants pour assurer ce dispositif?
Pour mettre en œuvre cette mesure, le ministre de l’Education compte procéder en plusieurs temps. A la prochaine rentrée, la diminution des effectifs sera appliquée dans les 2.500 classes de CP des réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP +), a indiqué mi mai le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer. « Et à la rentrée 2018, les classes de 12 élèves seront mises en œuvre dans toutes les CP de REP et dans tous les CE1 de REP et de REP + », indique à 20 Minutes la rue de Grenelle.
Reste à savoir avec quels moyens humains. Car cette mesure devrait nécessiter l’intervention de 12.000 enseignants,comme l’indique le programme d’Emmanuel Macron. Pendant sa campagne, il avait précisé vouloir redéployer les enseignants affectés au dispositif « Plus de maîtres que de classes » (dans lequel 5.000 enseignants interviennent) et puiser dans le vivier des 4.000 postes d’enseignants qu’il compte créer pendant son quinquennat. Selon Stéphane Crochet, secrétaire général du Se-Unsa, « pour mettre en place cette mesure dès la rentrée en REP +, il est probable que le ministère ait aussi recours aux enseignants remplaçants et aux nouveaux professeurs qui n’ont pas encore reçu d’affectation. Par ailleurs, des enseignants déjà affectés dans une école sont incités à postuler pour prendre une classe de CP dédoublée dès la rentrée », indique-t-il. Pour encourager les professeurs à rejoindre les établissements concernés, une « prime annuelle de 3.000 euros net sera proposée aux volontaires», nous confirme le ministère.
Pourquoi les syndicats et les profs de REP inquiets ?
La manière dont le gouvernement compte dédoubler les classes de CP et de CE1 en REP et REP + suscite d’ores et déjà des mécontentements. Plusieurs syndicats craignent que le redéploiement des profs œuvrant au dispositif « Plus de maîtres que de classes » ne signe l’enterrement de cette mesure. « La mise en place de maîtres supplémentaires a permis de développer le travail collectif, de développer de nouvelles formes d’exercice du métier, des regards croisés sur les élèves, ainsi qu’une meilleure explicitation des apprentissages, une multiplication des interactions au sein de la classe ou encore de mettre l’accent sur la prévention », souligne ainsi le SNUipp dans un communiqué. Un avis partagé par Véronique Decker, directrice d’une école en REP + dont l’école a bénéficié du « Plus de maîtres que de classes » : « Grâce à ce dispositif, nous avons mis en œuvre des groupes de niveau en maths et en lecture et cela a été très bénéfique aux élèves. Cesser ce dispositif brutalement, c’est vraiment dommage », estime-t-elle.
« Ces dédoublements de classe risquent aussi d’avoir pour conséquence une augmentation des effectifs dans d’autres écoles, où certaines classes seront fermées », craint également Stéphane Crochet. Par ailleurs, certains doutent de l’efficacité d’une réduction des effectifs en REP : « L’expérimentation a existé sous Luc Ferry entre 2002 et 2004 et elle n’avait pas porté ses fruits» , rappelle Stéphane Crochet. «Par ailleurs, 12 élèves par classe c’est trop peu. Car pour créer une dynamique de classe, l’enseignant doit s’appuyer sur un petit groupe de bons élèves. Sur 12 il risque d’y en avoir trop peu pour tirer la classe dans le bon sens », estime Véronique Decker. Enfin les enseignants s’inquiètent de la mise en œuvre jugée précipitée de la réduction des effectifs en REP + dès la rentrée : «cela risque de causer des désorganisations à la rentrée», juge Stéphane Crochet.
Les bâtiments des écoles seront-ils adaptés ?
Pour diviser les classes de CP, CE1 et CE2 des REP et des REP + en deux, il faut aussi idéalement deux salles. Un problème dans les établissements situés dans des zones urbaines très denses, mais pas que, comme le souligne France urbaine (qui regroupe les élus des métropoles) dans un communiqué: « Ces directives posent des difficultés très importantes de mise en œuvre liées aux locaux, notamment dans les territoires d’ores et déjà en tension ou en phase de progression démographique forte. Les membres de France urbaine s’étonnent là encore qu’une telle mesure n’ait pas été prise en concertation avec eux alors même qu’ils ont compétence sur les locaux des écoles ». Véronique Decker s’inquiète aussi : « Si c’est pour mettre un paravent afin de séparer les groupes de 12 élèves, faute de salles disponibles, il sera impossible de travailler correctement », s’alarme-t-elle.
Pour calmer la grogne, le gouvernement a promis d’allouer aux communes 200 millions d’euros pour les aider à adapter leurs locaux. Et lorsque la création d’une deuxième salle de classe ne sera pas possible pour cette rentrée, Jean-Michel Blanquer a indiqué mi-mai qui y aura alors « une année de transition » avec par exemple, deux maîtres dans une classe de 24 élèves.