Policiers tués à Magnanville: «Depuis l'attentat, j'ai interdit aux enfants de dire que nous sommes policiers»
TERRORISME•Le 13 juin 2016, un terroriste se rendait au domicile d’un couple de policiers pour les tuer, sous les yeux de leur fils de 3 ans et demi. Un an plus tard, les familles de forces de l’ordre sont toujours sous le choc et craignent elles aussi d’être prises pour cible…Thibaut Chevillard
Touchés dans leur intimité. Le 13 juin 2016, Jean-Baptiste Salvaing, 42 ans, commandant de police et adjoint du commissariat des Mureaux (Yvelines), et sa compagne Jessica Schneider, 36 ans, agent administratif du commissariat voisin de Mantes-la-Jolie, étaient assassinés à leur domicile de Magnanville par un homme de 25 ans, Larossi Abballa. Avant d’être abattu par le Raid, il avait revendiqué son acte au nom du groupe État islamique.
C’était « la première fois qu’il y avait un assassinat terroriste chez des policiers eux-mêmes, dans la famille et pas en service », a rappelé ce mardi le préfet des Yvelines lors d’une cérémonie d’hommage au commissariat de Versailles.
20 Minutes a interrogé - sous couvert d’anonymat - des compagnes et des épouses de policiers, afin de savoir ce qui avait changé dans leur vie de famille depuis le drame. Certaines font partie de l’association Femmes des forces de l’ordre en colère, d’autres ont écrit à notre journal pour se confier.
Adèle : « Je suis mariée avec un CRS depuis douze ans. A l’époque, il était discret sur sa profession, afin d’éviter les nombreuses questions sur ce métier qui intrigue. Pour ma part, j’ai toujours été très fière de son travail, bien qu’il n’ait jamais été facile de supporter ses déplacements. Nous n’avions jamais donné de directives à nos enfants car nous n’en avions pas vu l’intérêt. En plus, pour un enfant, dire à ses copains que papa est policier, ça fait son petit effet dans la cour de récréation.
« « Nous savons que les policiers constituent des cibles. C’est pour cela que nous avons dû changer certaines de nos habitudes. » »
Mais depuis les derniers attentats, tout a changé. Les enfants ne mentionnent plus le métier de leur père. Si on leur demande, ils doivent répondre qu’il est dans la fonction publique et restent vagues. Mon mari est devenu prudent quand il quitte le travail. Il n’y va jamais avec sa tenue et se change sur place. Moi, j’ai une boule au ventre quand il est sur le terrain. Nous ne devenons pas paranos, mais nous savons que les policiers constituent des cibles. C’est pour cela que nous avons dû changer certaines de nos habitudes ».
Cécile : « Je suis la compagne d’un gardien de la paix qui exerce son métier depuis huit ans. Il travaille dans le Val-d'Oise depuis bientôt deux ans. Le 13 Juin 2016, je pense que je m’en souviendrai toute ma vie. Ce couple, parents de deux petits garçons, assassinés froidement à leur domicile… Évidemment en tant que femme de flic, cela perturbe d’autant plus. Personne ne peut comprendre ce que l’on ressent, l’angoisse quotidienne devenant parfois de la paranoïa. Nous habitons à une heure de route du lieu de travail de mon conjoint, cela n’empêche pas qu’il ait déjà été suivi jusqu’à notre domicile.
Nous ne disons pratiquement plus qu’il travaille dans la police, j’en suis pourtant très fière. Je pense que je suis plus angoissée que lui. Il m’arrive de penser que nous sommes suivis. Je n’étends plus ses affaires de travail dans le jardin, et je lui demande d’éviter au maximum de partir au travail en uniforme. La vie est devenue différente, elle est beaucoup moins sereine qu’avant, malheureusement. Les forces de l’ordre ne font que leur travail, protéger les citoyens. Mais avant tout, ce sont des maris, des frères, des pères. »
Adeline : « Je suis policière, maman de deux enfants et épouse de policier. Depuis l’horrible assassinat de nos collègues, je vis dans la peur. Je crains que mes enfants soient pris pour cible à cause de ce métier que j’exerce. Je leur ai interdit de dire quelle profession mon mari et moi exerçons. Ils se contentent de dire que papa et maman sont fonctionnaires. Le soir, en rentrant du travail, je n’emprunte jamais le même itinéraire, et je vérifie en conduisant que personne ne me suit. Nous avons aussi adopté un chien, à la grande joie des enfants, afin de nous sentir un peu plus en sécurité chez nous. Depuis ce 13 juin 2016, ma famille n’est plus libre de vivre tranquillement ».
Sophie : « Mon mari est fonctionnaire de police. Nous étions habitués lors de nos sorties à être reconnus par des personnes qu’il avait contrôlées. Parfois, elles se contentaient de nous regarder. D’autres fois, elles menaçaient de s’en prendre à lui puisqu’il était seul, sans ses collègues. Récemment, une de nos amies qui est OPJ s’est fait agresser en pleine rue par une personne qu’elle avait placée en garde à vue quelques jours plus tôt.
« « Le soir, je ferme les volets car nous habitons au rez-de-chaussée. Mon mari porte constamment son arme » »
Suite à une mutation professionnelle, nous habitons désormais en région parisienne. Nous avons choisi, par sécurité, d’habiter loin du commissariat. Le drame de Magnanville n’a fait que raviver chez moi la crainte que mon mari se fasse agresser ou que quelqu’un s’en prenne à nous. Le soir, je ferme les volets car nous habitons au rez-de-chaussée. Mon mari porte constamment son arme. Cela peut paraître excessif, mais les gens ne font aucune différence entre le policier et l’homme qui se cache derrière la tenue. Beaucoup oublient qu’ils ont une famille, des amis. Ce ne sont pas que des représentants de l’État ».
Alexandra : « Mon conjoint est policier et travaille dans une CRS. Nous vivons à Orléans et essayons d’être discrets. Il évite de rentrer ou de partir de la maison en tenue, il est constamment armé afin de nous protéger. Hormis mes proches, mes amis et certains collègues, personne ne connaît son métier. Travaillant dans le milieu social, j’ai déjà reçu des menaces d’un locataire qui avait appris son métier.
Je suis issue d’une famille de gendarmes et de policiers. Avant, j’étais fière de dire que mon père était gendarme. Aujourd’hui, j’ai peur de dire que mon conjoint est CRS car ils sont détestés pour de mauvaises raisons et les tueurs de flics sont de plus en plus nombreux. »
Jess : « Etre CRS, ça a toujours été la vocation de mon conjoint. Sa compagnie était présente au stade de France le 13-Novembre. Depuis, notre fils fait des cauchemars, il va voir une psychologue car il a peur que quelque chose arrive à son père. On essaie tant bien que mal de bloquer les informations pour ne pas qu’il s’inquiète. Il a demandé récemment à changer de service, pour ne plus avoir à se déplacer autant. De manière générale, je trouve qu’il n’y a plus de respect pour les forces de l’ordre. Notre fils se fait harceler car son papa est policier, alors que j’étais fière de dire que le mien l’était.
Quand je vois partir mon compagnon travailler, je ne sais jamais quand il va rentrer, ni comment. Leur matériel n’est plus adapté. Leurs gilets pare-balles ne sont pas fait pour arrêter les tirs de kalachnikov. Ils sont autorisés désormais à porter leur arme hors service. Mais ils ne peuvent pas la prendre avec eux dans certains lieux, comme des salles de concert. Notre association, Femmes des forces de l’ordre en colère (FFOC), a écrit au ministre de l’Intérieur pour s’en émouvoir, mais personne ne nous a encore répondu ».