INTERVIEW«Les cold case n’existent pas si on décide de ne jamais abandonner»

Corinne Herrmann : «Les cold case n’existent pas si on décide de ne jamais abandonner»

INTERVIEWSpécialisée dans les affaires non élucidées, Me Corinne Herrmann défend la mère de Jonathan Vantillard, tué en 2007 à Auxonne (Côte-d'Or) ...
Thibaut Chevillard

Propos recueillis par Thibaut Chevillard

De notre envoyé spécial à Auxonne (Côte-d'Or),

Ceux qui ont croisé son chemin le savent. Me Corinne Herrmann ne lâche rien. Sans sa pugnacité, Emile Louis, dont elle défendait les familles des victimes, n’aurait peut-être jamais fini ses jours derrière les barreaux. Cette avocate, spécialisée dans les cold case et les tueurs en série, n’hésite pas à ouvrir des dossiers vieux de plusieurs dizaines d’années pour traquer les criminels restés impunis. Elle défend désormais Florbela Dos Santos, la mère de Jonathan Vantillard, et revient, pour 20 Minutes, sur ce troublant dossier.

Quelle sont les difficultés de ces affaires non élucidées, surnommées les « cold case » ?

Le problème avec ces dossiers, c’est qu’au bout d’un certain nombre d’années, les enquêteurs et les magistrats sont convaincus d’avoir tout fait et pensent qu’il n’y a plus rien à trouver. Avec le temps, ils sont remplacés par d’autres à qui ils transmettent malheureusement cette conviction. Les nouveaux n’ont donc pas toujours la curiosité de se replonger dans les affaires, de relire attentivement les dossiers. Ils n’ont pas toujours l’envie de vérifier les points qui leur sembleraient étranges. Je prends des dossiers qui ont parfois trente ans. En réalité les cold case n’existent pas si on décide de ne jamais abandonner.

Jonathan Vantillard a été tué il y a dix ans. Où en est l’affaire ?

Elle est toujours en cours. Le juge d’instruction a indiqué en 2015, dans un avis qu’il nous a transmis, qu’il ne souhaitait pas poursuivre les investigations. Or, selon nous, tout n’a pas encore été fait pour trouver les auteurs. Plusieurs éléments nous amènent à penser que nous sommes loin d’avoir fait le tour du dossier. Il est toujours possible de réaliser de nouvelles analyses scientifiques, de mener des interrogatoires, de vérifier des emplois du temps, d’exploiter la téléphonie… C’est donc ce que nous avons expliqué à la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon qui, en janvier dernier, a suivi nos demandes.

Pensez-vous qu’il est toujours possible de susciter des témoignages qui feraient avancer l’enquête ?

Oui, j’en suis persuadée. Nous avons reçu beaucoup de témoignages suite à la diffusion d’une émission consacrée à l’affaire sur NRJ 12 en octobre 2015. Mais la justice rechigne un peu à traiter ceux qu’on lui a transmis. Tôt ou tard, un élément permettra de faire avancer le dossier. Nous faisons donc tout pour qu’il reste ouvert. Par principe, en matière criminelle, nous considérons qu’il ne faut jamais fermer un dossier, qu’il faut continuer à chercher. Ce n’est pas toujours le cas des juges.

Un homme avait été mis en examen pour homicide volontaire en 2007 dans ce dossier. Depuis, il n’est plus poursuivi que pour non-assistance à personne en danger….

Le juge a considéré qu’en l’état actuel, il n’était possible de retenir contre lui que cette qualification-là. Lui et une autre personne devaient comparaître devant le tribunal correctionnel en décembre 2016. Nous avons demandé le report de l’audience car des expertises génétiques étaient en cours et nous souhaitions en connaître le résultat avant qu’ils soient jugés. Elles auraient pu mettre en cause leur responsabilité au-delà de ce qui avait été retenu. Ils seront jugés à la rentrée 2017. Mais l’instruction n’étant pas achevée, d’autres éléments les impliquant peuvent toujours être découverts.

Depuis le début, l’affaire a été marquée par plusieurs ratés….

Le 14 avril 2007, tandis que Jonathan est amené par les secours aux urgences, les gendarmes délimitent la scène de crime avec du ruban. Puis ils s’en vont, sans la protéger davantage. Les techniciens en identification criminelle de la gendarmerie arrivent plusieurs heures plus tard. Entre-temps, les lieux ont été nettoyés à l’eau de javel par une personne qui avait peut-être intérêt à le faire. Mais nous n’avons pas réussi à le démontrer à ce jour.

Une juge d’instruction, chargée un temps de cette affaire, a été sanctionnée par sa hiérarchie et a été mutée à Troyes. Que s’est-il passé ?

Au départ, une rumeur circulait, disant que Jonathan s’était peut-être blessé tout seul en tombant dans les escaliers. Or, nous avions la certitude qu’il avait été victime d’une agression. Nous avons donc demandé une expertise supplémentaire. Mais deux ans plus tard, l’expert n’avait toujours pas commencé à travailler, malgré nos relances répétées. La juge devait pourtant s’assurer que cette expertise soit réalisée dans un laps de temps normal, car les enquêteurs attendaient les résultats pour reprendre leurs investigations sur le terrain. On a perdu beaucoup de temps. Au final, l’expert n’a jamais rendu son rapport. Quant à la juge,elle a été sanctionnée par le Conseil supérieur de la magistrature en novembre 2010.