SECURITEL’Etat peut-il assigner à résidence une personne indéfiniment?

Etat d'urgence: L’Etat peut-il assigner à résidence une personne indéfiniment?

SECURITELe Conseil constitutionnel se prononce jeudi sur la légalité d’étendre cette mesure prévue par l’état d’urgence au-delà de douze mois…
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

Combien de temps l’Etat peut-il assigner à résidence une personne ? C’est à cette épineuse question, posée par un homme d’une trentaine d’années condamné en 2014 pour sa participation à une filière djihadiste, que le Conseil constitutionnel doit répondre, jeudi, « en fin de journée ». « Depuis novembre 2015, mon client n’a plus le droit de sortir, de quitter sa commune. Il a passé plus de 4.000 heures chez lui. Il ne peut sortir que pour aller pointer au commissariat, trois fois par jour », explique à 20 Minutes Me Bruno Vinay, l’avocat de Sofiyan Ifren. qui a posé le 7 mars la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant les Sages. « Soit les autorités apportent la preuve qu’il représente un danger, et dans ce cas on le met en examen et on l’incarcère, soit on arrête de le soupçonner », plaide-t-il.

« Il faut fixer une limite à cette mesure »

Retour en arrière. En décembre 2014, Sofiyan Ifren, alors âgé de 28 ans, est reconnu coupable d’avoir monté dans son département du Val-de-Marne une filière djihadiste à destination du Mali. Il écope alors de cinq ans de prison dont deux avec sursis et mise à l’épreuve. Ayant été en détention préventive, il bénéficie d’un aménagement de peine et est placé sous surveillance électronique. Mais onze mois plus tard, alors que des terroristes sèment la mort dans Paris et sa banlieue, le gouvernement décrète l’état d’urgence. La peine de Sofiyan Ifren est suspendue et les autorités décident de l’assigner à résidence.

Seize mois plus tard, rien n’a changé pour lui. Pourtant, la loi du 19 décembre 2016, prorogeant l’état d’urgence pour la cinquième fois, prévoit qu’une « même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalent à plus de douze mois ». Mais les parlementaires ont ajouté une disposition permettant au ministre de l’Intérieur de demander au juge des référés du conseil d’Etat de prolonger la durée de cette mesure administrative, s’il apporte des éléments soulignant la dangerosité de la personne qu’elle vise. C’est ce point précis que Sofiyan Ifren et son avocat contestent fermement. « Il faut fixer une limite à cette mesure administrative », estime Me Vinay.

Il n’existe qu’une seule voie de contestation possible : introduire un recours devant… le juge des référés du conseil d’État. « On demande au juge d’apprécier la légalité d’une mesure qu’il a lui même autorisé. Le système est complètement bancal », ironise Me Patrice Spinosi, avocat de la Ligue des droits de l’Homme, qui a épaulé Me Vinay à l’audience devant le Conseil constitutionnel. « Le Parlement a mis en place un système inédit, complète le conseil de Sofiyan Ifren. Comme si le juge qui avait autorisé la prolongation de l’assignation à résidence allait revenir sur sa décision. » Selon lui, il s’agit d’une « garantie de façade ». « Le système est bien verrouillé. »

« Je ne peux pas avoir de lien social »

A l’instar de Sofiyan Ifren, ils sont une vingtaine à être assignés à résidence depuis les attentats de novembre 2015. Les conséquences pour eux sont nombreuses : « Leur quotidien est très difficile à vivre », remarque Me Vinay. « Je ne peux pas avoir de lien social parce que le fait d’avoir cette étiquette d’assignée à résidence, plus personne ne veut voir et vous ne voulez plus voir personne parce que ça peut vous porter préjudice », témoignait Sofiyan Ifren le 7 mars dernier, à la sortie de l’audience.

« L’administration est persuadée qu’elle permet d’éviter le passage à l’acte. Il s’agit davantage d’une mesure punitive qu’autre chose », explique son avocat. Traduction : l’Etat n’ayant pu transformer des soupçons en certitudes se venge ainsi. Et il peut le faire tant que l’état d’urgence est maintenu. « Il ne devait durer que trois mois. Il est désormais en vigueur depuis un an et demi », souffle Me Spinosi. Avant d’ajouter : « Aucun gouvernement ne voudra mettre fin à l’état d’urgence car s’il y a un attentat, on le lui reprochera. »

« Nous avons une réelle chance d’obtenir une décision favorable du Conseil constitutionnel », estime néanmoins l’avocat de la LDH. Si tel était le cas, Sofiyan Ifren ne serait pas libre pour autant. « Il devra encore purger son reliquat de peine qui s’élève à un an », explique son avocat. Mais sans travail, ni formation, les chances de voir sa peine aménagée une nouvelle fois sont minces. Peu importe. « Il préfère finir une peine à laquelle il a été condamné plutôt que de faire l’objet d’une mesure administrative faisant peser sur lui de lourds soupçons. »