Son fils est mort dans les rangs de Daesh: «Nous sommes devenus les tuteurs d'un mort!»
ENTRETIEN•Dans un livre à paraître, ce jeudi, Véronique Roy raconte le parcours de son fils mort dans les rangs de Daesh en Syrie et l’impossibilité pour elle de pouvoir faire son deuil…Vincent Vanthighem
«Salaam alaikum… l’Etat bâti par le sang des martyrs. » C’est par un message reçu sur l’application WhatsApp que Véronique Roy a appris la mort de son fils Quentin, le 14 janvier 2016. Un peu plus d’un an auparavant, ce jeune de 22 ans originaire de Sevran (Seine-Saint-Denis) avait rejoint les rangs de Daesh quelque part entre la Syrie et l’ Irak.
Avant de découvrir qu’il aurait participé à un attentat-suicide, ses parents ont tout fait, message après message, pour tenter de le faire revenir à la raison et la maison. Une période délicate que Véronique Roy a choisi de raconter dans un livre* qui sort ce jeudi (Quentin, qu’ont-ils fait de toi ? Ed. Robert Laffont). Sans jamais s’exonérer de ses responsabilités, elle y décrit l’impossibilité, pour elle et son mari Thierry, de pouvoir faire leur deuil aujourd’hui…
Cela fait plus d’un que votre fils est mort et vous ne disposez toujours pas de certificat de décès. Quelles difficultés cela pose-t-il ?
Pour l’administration, Quentin n’est pas mort mais « disparu ». On ne peut donc pas obtenir un certificat de décès qui nous permettrait de gérer la situation administrative. On ne peut rien clore. Finalement, c’est l’une des conseillères de François Hollande qui nous a conseillé de saisir un juge des tutelles. C’était le seul moyen. On est donc officiellement devenus le tuteur de notre enfant. On est devenus le tuteur d’un mort ! Cela devrait nous permettre de fermer enfin son compte en banque.
La justice, elle, a refusé votre demande de constitution de partie civile dans le dossier sur sa mort. Comprenez-vous pourquoi ?
Les juges partent du constat que les jeunes sont volontaires pour partir en Syrie. Et que sa famille n’a donc aucun droit à être partie civile. On a de la colère contre Quentin mais aussi de l’amour pour lui. Je n’excuse pas ce qu’il a fait. Mais je sais qu’il a été embrigadé.
Le problème, c’est que nous n’avons pas accès au dossier qui nous permettrait, peut-être, de comprendre comment il s’est retrouvé là-bas et comment il est mort. Mais on ne désespère pas que les choses évoluent, et de prouver le rôle déterminant des filières de recrutement en France.
En attendant, la seule explication vous a été fournie par un djihadiste depuis la Syrie qui vous a dit que Quentin s’était « éclaté avec une voiture remplie de TNT ». Vous êtes obligés d’y croire ?
Ce n’est pas une vérité en soi. Mais la probabilité que ce soit vrai est plus grande que celle que ce soit faux dans la mesure où nous n’avions plus de nouvelles depuis deux mois. Si c’était faux, cela signifierait que Quentin est toujours en vie. Ce serait un miracle, d’une certaine manière. Mais on ne peut pas courir après une chimère.
L’explication fournie par ce messager est probable parce que d’autres parents ont vécu ça. Si j’en parle, c’est pour que les gens se rendent compte de la violence permanente dans laquelle on a vécu ça. Vous imaginez que c’est comme cela qu’on nous a annoncé la mort de notre fils !
Dans votre livre, vous évoquez souvent les échanges de messages téléphoniques avec la Syrie. Vous racontez notamment avoir découvert que certains de vos messages avaient été « vus » plus d’un mois après l’annonce de la mort de Quentin. Il s’agissait sûrement d’un djihadiste qui avait récupéré sa puce. Comment l’avez-vous vécu ?
On sait bien que les djihadistes se refilent les puces des téléphones portables. Il n’empêche, j’ai essayé de recontacter le messager et tous les numéros que Quentin avait utilisés. Je n’ai pas eu de réponse sauf une fois sur WhatsApp. J’ai découvert une jeune fille voilée, très jeune. Elle ne parlait qu’arabe et ne comprenait pas l’anglais.
Elle m’a répondu en m’envoyant des cœurs et des fleurs et même des photos d’elle avec un visage déformé par cette application qui le permet [SnapChat]. Elle ne comprenait absolument pas de quoi je lui parlais. Ça peut rendre fou. Je ne me sentais pas bien après ça…
« Je suis une victime. Je n’en tire absolument aucune gloire mais je veux que le regard des gens change sur les parents dans notre cas », concluez-vous dans votre livre. Avez-vous le sentiment d’être considérée comme en partie coupable de ce que votre fils a fait ?
Oui, les gens considèrent que l’on a une part de responsabilité dans ce que nos enfants ont fait en Syrie et en Irak. Dans leur regard, il y a toujours une suspicion. Aujourd’hui, mon mari Thierry et moi, nous portons cette charge mais on ne l’a pas demandée. On n’y peut rien. Cela nous est tombé dessus. Quentin a été manipulé, n’a pas vu le piège et a servi de chair à canon.
Pour l’opinion publique, c’est un moyen de se rassurer. Les gens se disent : « C’est de la faute des parents… » « C’étaient des gamins en perdition »… Mais non ! Ce n’est pas aussi simple que ça. On ne se sent pas coupables. Ce statut de victimes que nous réclamons est important pour que l’on puisse faire notre deuil. Attention, mon livre n’est pas une plainte. Absolument pas. Mais aujourd’hui, j’ai le sentiment que notre traumatisme n’est pas reconnu.
* Quentin, qu’ont-ils fait de toi ? De Véronique Roy avec Timothée Boutry (Ed. Robert Laffont, 288 p. 19 €)