Mal-logement: «Je vis ici dans 9m² avec mon mari et nos cinq enfants»
REPORTAGE•Selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre présenté ce mardi, plus de 2 millions de ménages vivent actuellement en situation de suroccupation de leur logement…Delphine Bancaud
Impossible de s’imaginer que cet immeuble bourgeois parisien, situé dans le 9e arrondissement, est le théâtre d’une telle précarité. Et pourtant, quand on grimpe jusqu’au 6e étage, la réalité nous rattrape. Farida ouvre la porte et laisse découvrir la petite pièce de 9 m², qui lui sert de logement. « Je vis ici avec son mari Choukri et nos cinq enfants, âgés de deux mois à quinze ans ».
Une situation de surpeuplement des habitations dénoncée dans le rapport sur le mal logement de la Fondation Abbé Pierre, qui paraît ce mardi. Celui-ci souligne qu’entre 2006 et 2013, le nombre de ménages en surpeuplement accentué (c’est-à-dire habitant dans un appartement où il manque deux pièces ou plus) a crû de 17 %.
« On ne nous a toujours pas proposé d’appartement »
La famille vit depuis 2014 dans cette chambre de bonne et n’a pas les moyens de déménager dans le parc privé, car seul Choukri travaille, en tant que déménageur intérimaire. Le bail étant au nom du frère de Choukri, la famille a reçu un avis d’expulsion en 2016, mais qui n’a pas été suivi d’effet.
En juin 2016, la famille a été reconnue prioritaire Dalo (droit au logement opposable) grâce à l’aide de la Fondation Abbé Pierre, mais cela n’a pas changé la donne. « On a vu la maire du 9e qui a reconnu que notre situation était urgente, mais on ne nous a toujours pas proposé de logement social », déplore le couple.
Alors en attendant, il faut déployer des trésors d’inventivité pour rendre le quotidien supportable. Chaque mètre carré est optimisé. Les couvertures et les draps sont repliés dans un coin, les habits sont entassés dans des sacs, les matelas sont superposés et le linge qui sert moins souvent, est rangé dans un faux plafond.
Dans un angle de la chambre, se trouve un lavabo qui sert aussi bien pour la toilette que pour la vaisselle. Et une douche décatie permet à chacun de se laver tour à tour. « Mais elle cause des infiltrations d’eau, ce qui fâche beaucoup notre voisin », explique Farida.
« On dort deux par matelas »
Chaque soir, la famille sort les trois matelas pour la nuit. « on dort à deux par matelas, donc on ne peut pas trop bouger », explique Anis, 12 ans. L’unique fenêtre de la chambre ne fermant pas correctement, elle est entourée de papier adhésif qui sert d’isolant. « Les deux petits ont tout le temps le nez qui coule, à cause de l’humidité en hiver », commente Farida.
L’été, c’est l’inverse. La chambre se transforme en vraie fournaise. « On laisse la porte ouverte, même s’il y a des souris dans le couloir », explique Farida. La mère de famille redoute aussi que les punaises, qui circulent dans l’appartement. « J’ai surtout peur pour mon bébé », indique-t-elle.
Et pas question pour les membres de la famille d’avoir des rythmes différents : « A 6h30, tout le monde est debout pour pouvoir faire de la place », indique Farida. Pour préparer les repas, la famille dispose d’un minuscule four et d’une plaque chauffante. Mais l’électricité n’étant pas aux normes, le risque d’accident plane. Les repas sont pris par terre, rapidement.
Une marche d’escalier pour faire les devoirs
Quant aux loisirs, les enfants n’en ont pas beaucoup dans cet habitat de fortune. La télévision tourne tout le temps. Pas question pour les plus petits de sortir de la chambre pour jouer sur le palier : « on ne veut pas voir de problèmes avec les voisins, alors on reste discrets », indique Farida.
Cet après-midi, comme tous les autres, ils sont plutôt calmes, comme s’ils ne voulaient pas ajouter des problèmes à leurs parents. « Moi je sors dès que je peux, heureusement que je joue au foot en club », explique l’aîné de la famille. Pendant les vacances scolaires, les plus petits restent au centre de loisirs.
Et pour faire leurs devoirs, les enfants n’ont qu’une solution : investir le couloir du 6e étage. « C’est là que je m’installe avec mes livres et mes cahiers », décrit Anis, en désignant une marche d’escalier. « Nos résultats scolaires à mon frère et à moi ne sont pas terribles. Et j’ai un peu honte de dire à mes amis comment je vis », confie-t-il en baissant les yeux.
« Mon fils aîné voudrait organiser son anniversaire à la maison comme ses copains, mais on ne sait pas quand ce sera possible », ajoute Farida. A 38 ans, elle souffre d’arthrose à force de dormir par terre. « Mais ce n’est pas ce qu’il y a de pire. Le plus dur pour mon mari et moi, c’est de voir nos enfants si mal », souffle-t-elle, en berçant son bébé debout.