Art et érotisme: «Des scandales, il y en aura toujours, et c’est tant mieux»
INTERVIEW•Claire Maingon, historienne de l’art, revient dans un livre sur les œuvres érotiques qui ont fait scandale...Propos recueillis par Audrey Chauvet
Qu’il s’agisse d’une affiche pour une campagne de prévention du Sida ou d’un sapin de Noël ambigu exposé par un artiste en plein Paris, la sexualité a encore du mal à s’afficher sur la place publique. Claire Maingon, historienne de l’art, a voulu revenir sur ces œuvres qui, de l’Olympia de Manet à L'Origine du monde de Courbet, ont fait scandale en leur temps. Dans son livre Scandales érotiques de l’art (éd. Beaux Arts), elle s’interroge sur ce qui choque selon les époques et pourquoi.
Les premières représentations sexuelles étaient plutôt des divinités protectrices ou des représentations grivoises. A partir de quel moment l’érotisme dans l’art a-t-il commencé à faire scandale ?
Je pense que dès l’instant où les œuvres ont été présentées dans un contexte public, elles ont fait scandale. Le Salon, créé sous Louis XIV, a fait sortir les œuvres des ateliers pour être présentées dans un contexte d’émulation et de compétition entre les artistes, donc cela a donné plus de place à la critique d’art et aux commentaires.
Quelle est pour vous l’œuvre la plus emblématique de ces scandales ?
Pour moi, c’est le Jugement dernier, de Michel-Ange. Il réalise cette œuvre dans un contexte religieux, c’est une commande de la part du Pape, mais il y intègre la nudité, y compris celle du Christ, marquant ainsi sa volonté d’échapper aux normes. C’est bien entendu la religion qui s’est opposée le plus souvent aux œuvres d’art érotiques, encore aujourd’hui ce sont les extrémistes religieux qui sont les premiers à attaquer les œuvres à connotation sexuelle ou érotique. On l’a bien vu avec le Tree de Paul McCarthy, présenté à la Fiac en 2014 : ce sont les ultracatholiques qui, ironiquement, ont été les premiers à l’interpréter comme un sextoy…
Dans la plupart des œuvres que vous présentez dans votre ouvrage, c’est la représentation érotisée du corps de la femme qui fait scandale. Pourquoi ?
Il faut distinguer la représentation anatomique de la représentation idéalisée du nu féminin. Le corps de la femme n’a pas été présenté par les artistes dans sa réalité avant le XIXe siècle. Un marqueur de ce changement est la représentation du poil : aux XVIIe et XVIIIe siècles, les corps féminins étaient très épilés, l’éloge du poil pubien a dû attendre le XIXe siècle. Théophile Gautier parle alors du « gazon où vient s’asseoir l’Eros », Courbet . Le poil était alors hautement érotique et le représenter scandaleux.
Qu’est-ce qui choque encore aujourd’hui ?
On a bien vu avec les affiches pour la prévention du sida que les ultraconservateurs n’acceptent pas que les normes de représentation de la sexualité évoluent. La société actuelle est assez permissive mais il reste des sujets tabous. Le Dirty corner, d’Anish Kapoor, a été interprété comme une œuvre à connotation sexuelle alors que l’artiste voulait plutôt jouer avec le désordre de son œuvre qui contrastait avec l’ordre d’un jardin à la française, comme le féminin contraste avec le pouvoir royal masculin. L’art est souvent instrumentalisé pour porter un message qui le dépasse. Les œuvres sont ainsi les catalyseurs des tensions sur notre manière de concevoir la sexualité et nous montrent comment la société évolue par rapport aux normes.
Est-ce le rôle des artistes de faire bouger les lignes par rapport à ces normes ?
L’art n’a pas uniquement pour but de provoquer, mais des artistes comme McCarthy pointent du doigt les crispations de notre société. Les artistes ne font pas de politique, mais ils peuvent être des éclaireurs de conscience et leurs œuvres ont un vrai intérêt sociologique par les réactions qu’elles suscitent. Des scandales, il y en aura toujours, et c’est tant mieux.