Dépôt de plainte après un viol: «Pour moi, c’était perdu d’avance»
TEMOIGNAGE•Une jeune femme explique pourquoi elle n'a pas porté plainte après son viol...Florence Floux
Sarah* y a pensé tous les jours depuis que c’est arrivé. « Dès que je passe devant ce bar, au moins deux fois par jour. » La jeune femme fait partie chaque année, dont 9 sur 10 décident de ne pas porter plainte. Un soir de décembre 2015, après avoir flirté avec son agresseur pendant trois jours d’affilée dans un bar tout près de chez elle, elle décide de le laisser monter dans son appartement. « J’avais bu, mais j’étais consentante au début », raconte la jeune femme.
Une fois chez elle, les choses dégénèrent rapidement. Dès le début du rapport sexuel, celui qui se présentait jusqu’ici « comme le mec bien sous tout rapport » commence à la frapper et à lui cracher dessus. Sarah tente de le repousser, lui hurlant d’arrêter, mais il continue. « Physiquement, on ne fait pas le même gabarit. Il avait clairement plus de force que moi. Ensuite, j’ai eu peut-être une ou deux minutes de résignation, avant de me révolter à nouveau. C’est là que je lui ai dit que s’il n’arrêtait pas immédiatement, j’allais le dénoncer à des amis policiers. »
« Je crois que je me suis fait violer mais je ne suis pas sûre »
Les menaces portent leur fruit. Pour autant, l’agresseur prend son temps pour ramasser ses affaires, la traiter de « sale pute » et lui cracher dessus. « Je ne voulais qu’une chose : qu’il quitte mon appartement. » Il est 4h du matin lorsqu’il claque la porte. Sarah explose en larmes avant d’envoyer un sms à sa meilleure amie : « Je crois que je me suis fait violer mais je ne suis pas sûre. »
Dès le lendemain, elle demande à un ami qui connaît un policier de prendre conseil auprès de celui-ci sur la marche à suivre dans un cas de viol. « Il m’a expliqué sans me dissuader : le psy, le médecin, la confrontation avec mon agresseur. Je n’avais aucune preuve matérielle ou physique de mon viol. J’avais bu et des témoins du bar auraient pu confirmer que j’avais l’air tout à fait consentante en partant avec lui. Ça aurait été parole contre parole. Pour moi, c’était perdu d’avance. J’ai préféré ne pas me faire davantage de mal après le traumatisme que j’avais déjà vécu. »
« Je ne voulais pas qu’il fasse subir ça à quelqu’un d’autre »
Sarah se renseigne tout de même afin de savoir s’il est possible de déposer une main courante, pour laisser une trace, mais le policier lui explique qu’en cas de crime, il faut déposer plainte. Elle lui demande alors de chercher les antécédents de son agresseur. « S’il y avait eu d’autres affaires dans son casier, j’aurais déposé plainte. Si j’avais eu la moindre info selon laquelle c’est un comportement récurrent chez lui, je l’aurais fait. Je ne voulais pas qu’il fasse subir ça à quelqu’un d’autre. »
Pendant plusieurs mois, la jeune femme ne vit plus. « C’était horrible, j’avais peur de sortir. D’autant plus que je risquais de le recroiser dans le quartier, vu qu’il travaille dans le bar où l’on s’est rencontré. Je faisais des détours monstrueux pour ne pas passer devant et tomber sur lui. Je culpabilisais, parce que je me disais que c’était de ma faute, que j’avais dû faire quelque chose qui l’avait mis dans cet état. Et aussi parce que je l’ai laissé venir chez moi alors que je ne le connaissais pas. »
« J’ai clairement un désir de vengeance »
La jeune femme en parle beaucoup à sa psychothérapeute, travaille sur cette culpabilité. Petit à petit, elle commence à retourner dans la rue du bar, mais toujours sur le trottoir opposé. Jusqu’au jour où elle tombe sur lui, alors qu’elle marche avec des amis. « Il ne m’a pas vue, mais j’étais tétanisée, je suis rentrée chez moi en tremblant. Bizarrement, maintenant je me force à marcher sur le trottoir du bar. Je voudrais qu’il me voie et voir sa réaction. »
« Aujourd’hui je ne me dis plus que c’était de ma faute. Mais cette agression a laissé des traces. Je ne supporte plus les hommes qui ont l’air agressifs sexuellement, par exemple. Je les fuis. J’ai également des pulsions de violence. La semaine dernière je me suis battue avec une fille. J’avais vraiment envie d’en découdre, alors que je ne suis pas comme ça normalement. »
Et puis il y a la vengeance. « Ça me fait du bien d’y penser. J’ai clairement un désir de vengeance et je me vengerai. Je trouverai quelque chose, je ne le laisserai pas s’en sortir comme ça. Le rêve ultime serait évidemment de lui casser la gueule. » Sarah s’est inscrite cette semaine à des cours de self-défense.
* Le prénom a été modifié