Radicalisation: «Si j’avais vu "Le ciel attendra" à l'époque, ma fille ne serait jamais partie» en Syrie
INTERVIEW•L’histoire de Valérie de Boisrolin ressemble beaucoup à celle d’un des personnages du film « Le Ciel attendra », qui sort ce mercredi…Propos recueillis par Florence Floux
Valérie de Boisrolin a perdu sa fille Léa. Après s’être radicalisée de façon express à l’âge de 16 ans, elle s’est volatilisée pour rejoindre la Syrie. Une histoire qui ressemble étrangement à celle de Mélanie, l’un des personnages du , de Marie-Castille Mention-Schaar, qui sort en salles ce mercredi.
Comment était votre fille avant son départ pour la Syrie ?
C’était une jeune fille de 16 ans pleine de vie. Elle avait des amis, filles et garçons, des projets : passer son bac commerce international, partir six mois aux Etats-Unis pour perfectionner son anglais. Elle voulait passer son permis. Ce n’était pas une mordue d’école mais je n’ai jamais eu de soucis avec ma fille, on parvenait toujours à discuter. Nous étions très fusionnelles.
Vous n’avez rien perçu de sa radicalisation ?
Elle était dans une dissimulation totale, avec une double vie. Son embrigadement s’est fait très rapidement. On lui a prouvé qu’il fallait qu’elle nous quitte, nous ses parents. Ça a commencé en octobre 2012. En juin 2013, elle partait.
Comment a-t-elle été approchée ?
Elle s’était disputée avec son petit copain, parce qu’elle était assez prude. Elle a voulu le rendre jaloux en allant sur les réseaux sociaux. C’est là qu’elle a été harponnée, fin octobre 2012 par un garçon. Fin janvier, nous lui avons demandé d’arrêter définitivement de le fréquenter. Je l’avais rencontré une fois et je l’avais trouvé très spécial. Il ne voulait pas me serrer la main, ne me regardait pas dans les yeux. Ça m’a alertée. Elle lui a envoyé un message devant nous pour lui dire que c’était fini. Par la suite nous avons su qu’il venait la chercher à la sortie du lycée. Elle avait une fragilité à l’intérieur, après le décès de sa grand-mère.
Justement, qu’avez-vous appris par la suite, et comment ?
J’ai mené ma petite enquête auprès des amis de ma fille et j’ai également engagé un détective privé. C’est comme ça que nous avons compris qu’elle menait une double vie. La police est venue prendre l’ordinateur familial, sur lequel se connectait ma fille. Ils nous ont dit qu’ils n’avaient rien trouvé.
Dans votre livre, « Embrigadée » (Ed. Presses de la cité) vous dites éprouver une énorme culpabilité ?
A l’époque du départ, oui, je m’en voulais de ne rien avoir vu. Et puis parce qu’on remettait beaucoup en cause les parents. En 2013, on ne parlait pas autant de radicalisation qu’aujourd’hui. Le regard des gens était plutôt hostile. Aujourd’hui, je sais que nous sommes des victimes. Le garçon qui a embrigadé ma fille était fiché S. Nous avons essayé de lui donner une vie normale, avec une famille, des valeurs. Je ne suis pas coupable. Le chagrin et la souffrance m’ont menée vers la mort à un moment donné alors qu’il fallait rester debout pour ma famille. . Tout comme mon association, Malgré-eux.
Pensez-vous que le regard des gens a changé sur la question ?
Pas trop encore. Beaucoup de personnes sont dans l’empathie, surtout celles qui ont des enfants du même âge que ma fille au moment de son départ. Mais il y a encore des gens qui sont persuadés que ça ne leur arrivera jamais.
Qu’avez-vous pensé du film « Le Ciel attendra » ?
J’ai retrouvé l’histoire de ma fille à travers Mélanie. Je me suis également retrouvée dans le personnage de Clotilde Courau, la maman qui n’a rien vu. Je conseille à tout le monde de voir ce film. Il faudrait même le projeter dans les classes, pour alerter les adolescents. Si j’avais vu ce film à l’époque, ma fille ne serait jamais partie, j’aurais compris tous les signes : les vidéos qu’elle regardait, l’isolement, le fait qu’elle ne soit plus du tout coquette, qu’elle refuse d’aller chez l’esthéticienne.
Avez-vous encore des contacts avec votre fille ?
Nous avions repris contact, mais je n’en ai plus depuis le mois de juillet dernier. Elle a eu un petit garçon en Syrie. Le quotidien qu’elle me décrivait était celui d’une maman, dans sa maison. Nous n’avons jamais retrouvé la complicité que nous avions avant, c’est fini. Aujourd’hui, elle a 20 ans, ce n’est plus une enfant. Daesh a terminé son éducation. Je n’ai pas grand espoir de revoir ma fille un jour mais elle est toujours avec moi, elle me porte.