RADICALISATIONCombien d’autres Adel Kermiche en Seine-Maritime ?

Attentat dans une église près de Rouen: Combien d’autres Adel Kermiche en Seine-Maritime?

RADICALISATIONEn novembre, la préfecture de Seine-Martime évoquait 140 personnes à risque dans le département frappé par un attentat mardi dernier. Sur place, les associations venant en aide aux familles touchées disent la situation bien plus complexe qu’elle n’y paraît…
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

Y a-t-il d’autres Adel Kermiche dans la nature ? Forcément, cette question taraude les habitants deSaint-Etienne-du-Rouvray, frappée par un attentat islamiste mardi matin. D’autant qu' Adel Kermiche, l’un des deux assaillants, habitait les hauteurs de cette ville de la banlieue rouennaise.

« Il y en a d’autres »

« Oui, il y en a d’autres », répond sans hésiter Latifa Ibn Ziaten. Depuis la mort de son fils, tué par Mohammed Merah en mars 2012, elle est l’une des figures de la lutte contre la radicalisation en France via son association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix qui vient en aide aux familles de personnes radicalisées. Rouen, justement, elle connaît bien. « J’habite Sotteville à un kilomètre de Saint-Etienne-du-Rouvray. Et oui, je suis parfois contactée par des parents de la région désemparés par la trajectoire que prend leur enfant. »

Combien sont-ils exactement ? Le 19 novembre dernier, Pierre-Henry Maccioni, préfet à l’époque de Seine-Maritime, évoquaitdans la presse 140 cas signalés en Seine-Maritime de personnes présentant des risques susceptibles de faire le djihad. Trente étaient alors particulièrement suivis, trois assignés à résidence. Contactée par 20 Minutes, la préfecture de Normandie ne communique plus sur ce chiffre depuis l’attentat de mardi.

Des critères de signalement considérablement durcis

Mais ce chiffre serait à prendre avec des pincettes, indiquent tant Abdellatif Hmito, imam de la mosquée de Oissel, commune voisine de Saint-Etienne-du-Rouvray, qu’Hatem Chérif, porte-parole de l’ Association des musulmans du Havre. « Depuis les attentats de Charlie Hebdo, le nombre de personnes signalées a explosé, tout simplement parce que les critères des services de renseignement ont été considérablement durcis », constate le premier. « Aujourd’hui, si vous avez une barbe ou si vous employez fréquemment le mot « allah », vous pouvez être fiché, déplore de son côté Hatem Chérif. Ce qui revient à dire que 99 % des musulmans sont radicalisés. »

« La réalité est bien plus complexe », indique-t-on à PAS 276, une association créée en février 2015 en Seine-Maritime, « pour servir de médiateur dans les cas de radicalisation signalés par les institutions ». « Des familles de personnes radicalisées nous contactent aussi pour qu’on leur vienne en aide », précise Kamal Bahidi, fondateur et vice-président de l’association. Comme le père d’Adel Benaoud, un autre jeune de Saint-Etienne-du-Rouvray parti en Syrie et au contact duquel Adel Kermiche se serait radicalisé. « Depuis notre création, nous sommes intervenus sur six cas de radicalisation dans la région rouennaise, reprend Kamal Bahidi. Des mineurs à l’exception d’une personne… âgée de 21 ans. »

« Leur salle de prière, c’est Internet ; leur imam Facebook »

Ils sont jeunes donc. Voilà un point commun. Mais difficile d’aller plus loin dans l’élaboration d’un profil type. « Les histoires sont toutes différentes », explique Kamal Bahidi. Il n’y aurait pas non plus de lieu de passage obligatoire à Rouen dans leur processus de radicalisation. « Ce n’est en tout cas pas dans nos mosquées », assure à 20 Minutes Mohammed Karabila, président du Conseil régional du culte musulman de Haute Normandie. Latifa Ibn Ziaten le rejoint sur ce point. « ll n’y a pas de mosquées qui posent problème dans la région rouennaise, dit-elle. Parfois, la radicalisation se passe dans des caves ou des salles de prières non déclarées. Mais là encore, je n’en connais pas à Rouen. »

« Leur salle de prière, c’est Internet ; leur imam Facebook, résume alors Hatem Cherif en parlant de ces jeunes radicalisés. C’est ce qui permet d’ailleurs de les détecter : ils se coupent subitement de tout le monde, même de leurs parents, et sont persuadés d’être les seuls dans le vrai. »

13 mosquées dans le Grand Rouen pour deux imams francophones

Mais s’ils semblent se radicaliser principalement sur le web, pour Brahim Charaf, aumônier bénévole à la prison de Rouen, cela ne dédouane pas les mosquées d’une certaine responsabilité : « Il y a 13 mosquées dans la région rouennaise. Seulement deux ont des imams francophones. Les autres sont envoyés par les administrations algériennes ou marocaines parfois pour une courte durée. Ces imams ne prônent pas le terrorisme, mais ils ne connaissent pas bien la vie en France et les réponses qu’ils apportent sont souvent déconnectées de la réalité. Voilà ce qui pousse alors ces jeunes à aller sur Internet. »

« Nous demandons depuis longtemps que l’Etat français forme des imams », rappelle Latifa Ibn Ziaten. C’est d’autant plus urgent à écouter Abdellatif Hmito, l’imam d’Oissel, « qu’il y a ces dernières années beaucoup de jeunes à venir dans nos mosquées. Nous proposons des cours d’enseignement religieux. Mais nous n’arrivons plus à faire face à la demande. »