Attentat dans une église: «Que cela soit arrivé à Saint-Etienne-du-Rouvray, ce n’est peut-être pas si étonnant»
REPORTAGE•Touchée par un attentat mardi matin, cette commune de l’agglomération rouennaise n’est pas forcément ce petit village paisible décrit dans un premier temps. Rencontre avec des habitants…Fabrice Pouliquen
De notre envoyé spécial à Saint-Etienne-du-Rouvray,
« Une petite ville tranquille où l’on entend chanter les oiseaux ». Réjane dit avoir fait un bond mardi soir en entendant parler ainsi de Saint-Etienne-du-Rouvray sur les chaînes d’information. Saint-Etienne-du-Rouvray, c’est sa ville. Elle habite à quelques pâtés de maisons de la rue Nikola-Tesla, où vivait l’un des deux terroristes qui ont attaqué l’église de la commune mardi matin et tué le prêtre auxiliaire de la paroisse en plein office.
« Pas si petite » et « pas si tranquille »
La Stéphanaise tique déjà sur le « petite ville ». « Nous sommes tout de même 29.000 habitants. Ce n’est pas un petit village. » Surtout, Rouen est à quelques kilomètres seulement. « On est au cœur d’une agglomération de 500.000 habitants », ajoute Farid, de Saint-Etienne-du-Rouvray également. Lui aussi a bloqué sur ce « petite ville ». « C’est l’une des communes les plus étendues du département, note-t-il. Ce n’est pas tant qu’il en est fier, « mais c’est un élément important pour comprendre ce qui s’est passé hier », note-t-il.
Farid compare alors Saint-Etienne-du-Rouvray à Saint-Denis, aux portes de Paris. « C’est un bastion communiste, une ville industrielle qui a vu arriver toutes les vagues d’immigrations. D’abord du Portugal et d’Italie, ensuite bien plus du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. »
Le bas calme, le haut plus chaud
« Tranquille » ne qualifierait pas beaucoup mieux Saint-Etienne-du-Rouvray. « Elle ne l’est pas tant que ça », indique en tout cas Carine, 25 ans, qui habite une petite maison pavillonnaire aux abords du parc Maurice-Thorez dans les hauteurs de la ville. Il y a des quartiers chauds ici. Château-Blanc, La Housière, Hartman… » Réjane citera les mêmes. Tout comme Jean-Jacques, croisé alors qu’il quittait la place de la mairie. « Tout le monde les connaît, glisse-t-il. En fait, ici, ce n’est pas bien compliqué : il y a le bas Saint-Etienne, le quartier de l’église et de la mairie tranquille et peuplé essentiellement par des personnes âgées. Et il y a le haut Saint-Etienne, plus jeune, plus bouillant, très cosmopolite. » Et où se trouvent donc ces fameux « quartiers chauds ».
Mais même sur ses hauteurs, Saint-Etienne-du-Rouvray ne collectionne pas les grandes tours et aligne bien plus les petites maisons pavillonnaires. Tout y semblait paisible mardi matin. « Moi, je suis peinard ici, assure Claire, une petite dame énergique de 86 ans au retour de ses courses. Elle habite pourtant à proximité du parc Maurice-Thorez, présenté comme un des endroits sensibles de la ville. « Il y a juste les quads qui font du bruit certains soirs », glisse-t-elle. « Ce n’est pas aussi angélique, reprend tout de suite Réjane, sa voisine. Des voitures ont brûlé ici et il y a aussi du trafic de drogue aux abords de Maurice-Thorez. »
« Peu de fous de dieu ici »
Il est vrai que ce mardi, un dealer ne se cachait guère, assis sur son tabouret de fortune au pied d’un immeuble, les mains occupées à rouler un joint. Touché par les événements, il était en classe avec le mineur placé en garde à vue mardi. Pierre* invite tout de même à ne pas noircir le tableau : « C’est paisible ici. Il y a de la petite délinquance comme il peut y avoir dans de nombreuses villes de cette taille, mais des fous de dieu, il y en a très peu. Je n’en vois que deux. L’un est en Syrie en ce moment. » L’autre, c’est Adel Kermiche, l’un des deux terroristes tués mardi matin.
« Pas si étonnant que cela arrive à Saint-Etienne »
Beaucoup de Stéphanais ont toutefois du mal à s’en convaincre. Ils craignent d’autres jeunes radicalisés dans la nature à Saint-Etienne ou dans les communes environnantes. « Nous ne sommes pas un petit village paisible », répète Isabelle, voisine d’une des maisons perquisitionnées par le Raid mardi. Une manière de dire que Saint-Etienne-du-Rouvray n’échappe pas au chômage, à la pauvreté, au communautarisme… souvent présentés comme terreau de la radicalisation.
Alors oui, commençaient à dire des Stéphanais ce mercredi, « c’est abject ce qui s’est passé mardi matin, mais que cela arrive à Saint-Etienne-du-Rouvray, ce n’est peut-être pas si étonnant ».