REPORTAGEAttentat à Nice: Les musulmans entre chagrin, peur et espoir

Attentat à Nice: Les musulmans entre chagrin, peur et espoir

REPORTAGEMontrés du doigt après l’attentat de Nice par certains, les musulmans ont payé un lourd tribut le 14 juillet…
Florence Floux

Florence Floux

De notre envoyée spéciale à Nice,

« Bonjour ! » Amine tout sourire, est prompt à accueillir ses clients, dans la boucherie hallal familiale où il travaille avec son père, boulevard de la Madeleine à Nice (Alpes-Maritimes). Pourtant, le cœur est lourd ces derniers jours. « On connaissait des victimes. Fatima par exemple, c’était une cool, à chaque fois qu’elle venait, elle me vannait, se rappelle le jeune homme. On est triste mais surtout, on ne comprend pas. » Alors que les 84 victimes de l’attentat de Nice ont toutes été identifiées mardi, on découvre qu’une trentaine d’entre elles serait, selon le Conseil régional du culte musulman, de confession musulmane… Plus d’une sur trois.

« Ce n’est pas parce que quelqu’un est musulman que ça va me faire davantage de peine que s’il était juif ou chrétien, c’est pareil pour moi », explique Amine. Une opinion que partage Mahmoud Benzamia, recteur de la nouvelle mosquée En-Nour, inaugurée début juillet : « On ne fait pas la différence entre les victimes. Tuer quelqu’un, c’est tuer l’humanité tout entière. » Si le chagrin est le même pour toutes les victimes, l’attentat du 14 juillet a ravivé les craintes d’actes islamophobes. Sur la Promenade des Anglais, des scènes ont marqué les esprits : « Foutez le camp ! », « rentrez chez vous ! » ont crié des passants le jour de la minute de silence à une femme d’origine maghrébine qui leur répondait : « Je suis née en France, je vais où alors ? Mon pays, c’est la France ! »

La double peine

« Je suis allée à la minute de silence, lundi avec des amies voilées. On nous regardait. Une dame a dit » Tiens, voilà les voileuses ! « Une de mes amies m’affirme que plus personne ne s’assoit à côté d’elle dans le tramway, les gens préfèrent s’entasser en crevant de chaud plutôt que de l’approcher… », regrette Feiza Ben Mohamed, porte-parole et secrétaire générale de la Fédération des musulmans du sud (FMS). « C’est d’autant plus horrible que les musulmans sont doublement victimes dans cette histoire : une première fois parce qu’ils font partie des victimes de l’attentat, une seconde parce qu’ils sont pointés du doigt par ceux qui pratiquent l’amalgame », estime Mahmoud Benzamia.

Feiza Ben Mohamed va même plus loin : « Tuer des musulmans, c’était complètement volontaire de la part du tueur. Quiconque vit à Nice sait parfaitement que la Promenade des Anglais est un endroit très fréquenté le soir par les Maghrébins. C’est le seul endroit où les deux Nice se mélangent : les riches et les pauvres. Cet individu a mis à exécution les appels aux meurtres de musulmans proférés par Daesh… Sa première victime a été une maman voilée. On choisit sa première victime, on ne l’écrase pas par hasard. »

« Les racistes, c’est comme des enfants »

La double peine, elle aussi la ressent. « Il y a une surenchère politique qui ne va pas du tout dans le sens de l’apaisement. Mais M. Estrosi ne se demande pas à côté de ça, pourquoi sur 36.000 communes en France, la sienne est la plus touchée par les départs en Syrie… Il faudrait qu’il se demande quel rôle joue la stigmatisation dans tout ça. »

Amine lui, ne voit pas les choses de la même façon : « En vrai, ça ne sert à rien de se victimiser. Moi je n’en veux pas aux gens racistes. C’est comme des enfants. Les enfants, ça s’éduque. Il faut leur montrer que nous sommes comme tout le monde. Quand je suis arrivé dans ma résidence, il y a deux ans, j’étais le seul Maghrébin. Personne ne m’adressait la parole. J’ai été vers eux, j’ai offert des spécialités de ma famille à mes voisins. Aujourd’hui, on m’arrête dans les couloirs pour me dire bonjour. C’est vrai que certains musulmans nous mettent la honte par leur comportement. Et que parfois, c’est fatigant aussi de devoir faire des efforts pour réparer ce que font d’autres personnes. »

« Les victimes nous ont donné une leçon »

Pour Mahmoud Benzamia, « il faut que l’être humain remonte un peu le niveau. Il ne doit pas s’abaisser. Les citoyens français ont les moyens intellectuels et spirituels pour ne pas remettre en cause le vivre ensemble ». Le vice-président du Conseil régional du culte musulman, également imam de la mosquée Ar-Rahma, Otmane Aissaoui, s’attelle à la tâche. « Les victimes de la Promenade des Anglais nous ont donné une leçon. Ils sont morts tous ensemble, toutes confessions réunies. Et ensemble, nous devons nous montrer à la hauteur de toutes ces personnes. La seule religion qui doit exister pour nous tous, au-delà de Dieu, c’est la République. C’est la seule fraternité qui doit primer. »

Tous s’inquiètent de l’avenir. « On est entré dans l’ère de l’hystérie collective. Le contrôle au faciès va avoir de beaux jours devant lui, et à la rentrée, ce seront nos enfants qu’on scrutera à l’école. Après Charlie Hebdo, Nice a été la seule ville de France à placer un enfant de 8 ans en garde à vue… » se souvient Feiza Ben Mohamed. Mahmoud Benzamia et Otmane Aissaoui réfléchissent quant à eux à des moyens de déceler et faire barrage à la radicalisation à leur niveau.