Attentat à Nice: «Il y a énormément d’antécédents de radicalisations très rapides chez les djihadistes»
TERRORISME•Le tueur de Nice, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, se serait radicalisé en une quinzaine de jours…Florence Floux
Une radicalisation expresse ? L’enquête sur l’auteur de l’attentat de Nice (Alpes-Maritimes) progresse et les traits de sa personnalité s’affinent au fil des jours. Le procureur de la République de Paris, François Molins, a indiqué ce lundi que les premiers éléments recueillis concernant Mohamed Lahouaiej-Bouhlel montrent un « individu très éloigné des considérations religieuses, qui mangeait du porc, buvait de l’alcool et avait une vie sexuelle débridée ».
Pourtant, d’après le procureur, « l’exploitation de son ordinateur illustre un intérêt certain et récent pour la mouvance islamiste radicale ». Dès samedi, Bernard Cazeneuve mentionnait une « radicalisation très rapide » de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. « Depuis huit jours, il se laissait pousser la barbe », a détaillé François Molins ce lundi, ajoutant que ses dernières recherches sur Internet concernent des sourates du Coran. Le signe d’une récente et rapide radicalisation ? « Il y a énormément d’antécédents de radicalisations très rapides chez les djihadistes, ce n’est pas rare du tout. En revanche, deux semaines, c’est la première fois que je vois ça », explique David Thomson, journaliste à RFI et auteur des Français jihadistes (Ed. Les Arènes).
Un changement de propagande
Pour le moment, aucun élément prouvant une allégeance à Daesh du tueur de Nice n’aurait été retrouvé lors des perquisitions. « On ne connaît pas encore tous ses réseaux, mais pour l’instant, il semble dans le même cas que les tueurs d’Orlando, San Bernardino et Magnanville : un passage à l’acte sans contact physique avec l’Etat islamique (EI) », avance prudemment David Thomson.
Si ces « nouveaux terroristes » apparaissent comme des individus isolés, ce n’est pas un hasard. La propagande de Daesh a changé en mai dernier. Dans ses appels au passage à l’acte, le porte-parole de l’EI, Adnani, appelle ses sympathisants à rester chez eux, et à passer à l’acte seul, avec les moyens du bord quand Daesh les invitait auparavant à gagner le Levant, c’est-à-dire la Syrie ou l’Irak afin de combattre.
« Des traits de personnalité psychotiques et paranoïaques »
« Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a des traits de personnalité psychotiques et paranoïaques. Quand un individu paranoïaque tombe sur un message d’Adnani, celui-ci rencontre son univers mental. Ce n’est pas une question religieuse mais une question radicale, estime le psychiatre Serge Hefez. Mohamed Lahouaiej-Bouhlel était effectivement connu de la police pour des faits de violences notamment envers son épouse. « On voit bien que c’est quelqu’un qui a un parcours psychique et social chaotique. C’est tout sauf incompatible avec un basculement idéologique djihadiste rapide », renchérit David Thomson.
« Avant, un type comme lui, c’était ce qu’on appelait le forcené du village, qui tuait sa femme avant de se suicider. Aujourd’hui, il massacre 84 personnes parce que Daesh lui permet de l’imaginer. L’EI lui fournit l’autorisation psychique de asser à l’acte de cette façon-là », indique Serge Hefez. Le changement de cap de Daesh dans ses appels au passage à l’acte explique en partie le profil de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. « Auparavant, ceux qui voulaient partir en Syrie cherchaient à partager une idéologie qui se transformait en paranoïa groupale. Aujourd’hui, Daesh s’adresse à des individus isolés. Pour qu’ils puissent adhérer à des convictions aussi horribles et passer à l’acte, il faut que ce soit des individus qui aient déjà cette potentialité », constate le psychiatre. La suite de l’enquête démontrera si Mohamed Lahouaiej-Bouhlel a bénéficié de complicités au sein d’un réseau.