Loi Travail: Pourquoi l'arrestation des casseurs est un casse-tête pour les autorités?
SÉCURITÉ•Gouvernement, préfecture de police de Paris et organisations syndicales ne sont pas parvenus à trouver un terrain d’entente à propos de l’organisation de la manifestation de jeudi prochain…Hélène Sergent
Trois mois après le début de la mobilisation contre la loi Travail, les débordements et les violences récurrentes, en marge des cortèges, pourraient avoir un impact direct sur la poursuite du mouvement. A deux jours de la prochaine manifestation nationale, le gouvernement et la préfecture de police de Paris ont entamé un bras de fer avec les organisations syndicales, appelant à un rassemblement « statique ». Cette configuration peut-elle pour autant dissuader les « casseurs », régulièrement pointés du doigt, de participer à la contestation ?
Des effectifs insuffisants
Pourquoi les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre - CRS et Gendarmes mobiles - ne procèdent-ils pas à l’interpellation des casseurs pris en flagrant délit ? Pas si simple selon Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat de police Alliance : « Quand on assure des interpellations, il faut que nous nous chargions également de la sécurité des manifestants et celles de nos collègues. Face à des individus violents, cela nécessite des cordons de sécurité internes très hermétiques ».
Or pour cela, il faudrait des effectifs supplémentaires souligne Yves Lefebvre du syndicat Unité SGP-Police FO : « Non seulement on manque d’effectif pour interpeller mais même lorsqu’on a des collègues qui interpellent, ils sont dépourvus de matériel. La semaine dernière, suite au manifestant blessé cour de Vincennes, le Préfet a interdit l’usage des grenades de désencerclement. Sauf que lorsqu’il y a interpellation et éventuellement danger, il faut dégager la zone ».
Au-delà du nombre, c’est la violence des échanges manifestants-policiers qui aurait rendu l’opération difficile selon Luc Poignant, chargé de la communication au sein de la centrale Unité SGP FO : « Quand il y a des groupes violents, il est extrêmement compliqué d’aller chercher ceux qui se trouvent dans le cortège. Ça n’a plus rien à voir avec le début de la mobilisation, ce n’est plus le même type d’interpellation, c’est beaucoup plus dangereux ».
« Frilosité » VS « incompétence »
Au-delà de l’incapacité d’interpeller les « casseurs », les policiers déplorent un manque de volonté politique. « Contrairement à ce que dit la CGT, je ne crois pas qu’il y ait une volonté de la part des autorités de pourrir le mouvement social. Elles souffrent en revanche du syndrome de la prudence depuisles affaires Malik Oussékine [étudiant tué par les forces de l’ordre en 1986] et Rémi Fraisse. Le pouvoir est paralysé par la peur d’un décès, aussi bien du côté police que manifestant, c’est pour cela qu’il ne souhaite pas qu’il y ait contact entre les forces de l’ordre et les manifestants, or qui dit interpellation dans un cortège, dit contact », confie Frédéric Lagache du syndicat Alliance.
Pour Yves Lefebvre, d’Unité SGP-FO, il ne s’agit pas de frilosité mais « d’incompétence » : « Il faut revoir la chaîne hiérarchique, notamment du côté de la préfecture. Je ne souhaite pas que le gouvernement interdise la manifestation mais honnêtement, nous ne sommes plus capables de gérer ces manifestations et d’assurer leur encadrement… Sans compter le manque de formation. La semaine dernière, on nous a donné l’autorisation d’utiliser les canons à eau. Or plus personne ne savait s’en servir. On se serait cru aux Guignols de l’Info », soupire le syndicaliste.
L’Etat de droit
Si l’interpellation des casseurs pose visiblement des difficultés aux forces de l’ordre pendant les manifestations, existe-t-il des marges de manœuvres en amont de ces mobilisations ? En décembre dernier, le ministre de l’Intérieur avait été particulièrement décrié après avoir assigné à résidence plusieurs militants écologistes dans le cadre de la COP21. Ce recours est légalement autorisé par l’Etat d’urgence, tout comme les arrêtés d’interdiction de séjour notifiés à plusieurs manifestants contre la loi Travail, par la préfecture de police de Paris. Jugeant les fondements insuffisamment justifiés, le tribunal administratif avait finalement débouté ces arrêtés.
Une mesure qui n’empêche pas certains manifestants de participer aux manifestations : « Avec les arrêtés d’interdiction, l’aspect dissuasif n’est pas là. Et en même temps on n’a pas les moyens juridiques d’interpeller ces personnes à leur domicile, de les placer en rétention », souligne Yves Lefebvre, d’Unité SGP-Police FO.
« Lorsque la voiture de police a été incendiée à Paris, certaines personnes interpellées avaient reçu un arrêté d’interdiction de séjour mais le tribunal administratif l’avait levé. Nous sommes dans un état de droit, on ne peut pas interpeller des gens de façon préventive et c’est une bonne chose. En même temps, on sait que tel ou tel individu peut ou va être dangereux, et on ne peut rien faire », estime Luc Poignant.