Comment la menace terroriste a modifié le quotidien des familles des forces de l'ordre
TEMOIGNAGES•L’assassinat d’un couple de policiers, à leur domicile, par Larossi Abballa, a ému l’ensemble de la « famille » police…Hélène Sergent
Il y a les interpellations musclées, les menaces parfois, les insultes, la peur de l’intervention qui tourne mal. Chaque jour, les familles des policiers, gendarmes et militaires doivent faire face à l’angoisse inhérente au métier choisi par leur proche. En 2015, l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo et l’assassinat du policier Ahmed Merabet, achevé au sol par l’un des deux terroristes, puis la mort tragique de Clarissa Jean Philippe à Montrouge par Amedy Coulibaly ont tristement illustré le terrorisme « ciblé » entrepris par Daesh à l’encontre des forces de l’ordre. Lundi, l’assassinat du couple de policiers à Magnanville (Yvelines) à leur domicile et devant leur fils a suscité une émotion sans pareil au sein de la profession.
Une prudence accrue
Léa* est en couple avec un policier de la BAC (Brigade anticriminalité) en Seine-Saint-Denis. Comme certains de ses collègues, son conjoint a modifié sa façon d’exercer sa profession, confie la jeune femme : « Ils prennent plus de précautions, ils sont plus prudents. Pendant les attentats de novembre, il était en convalescence après une blessure grave. Pour être honnête, j’étais rassurée qu’il soit à la maison et pas sur le terrain. Il a été très touché par l’attentat de lundi contre le couple de policiers, il s’est rendu compte qu’on pouvait s’en prendre à sa famille, du coup il est plus prudent le soir quand il rentre à la maison, il va jeter des coups d’œil pour voir s’il n’est pas suivi ».
Même constat pour Elodie*, en couple avec un militaire : « Depuis que nous sommes ensemble, je considère son travail comme potentiellement dangereux. Mais après Charlie Hebdo, la peur est devenue plus présente pour mes proches. Nous savons qu’ils peuvent frapper partout, à tout moment. Même si cela ne m’empêche pas de vivre, il faut faire avec et cela fait partie du quotidien, je reconnais que je suis devenue plus suspicieuse, plus prudente et j’évite d’en dire trop sur la profession de mon conjoint pour le protéger un maximum ».
Eviter de s’afficher sur les réseaux sociaux
Marie*, policière adjointe de sécurité vit avec un élève gardien de la paix. Plus d’un an après Charlie Hebdo, le couple a totalement intégré la menace terroriste : « Nous nous répétons souvent mutuellement d’être prudents et de faire attention autant que possible quand nous sommes sur le terrain, à rester vigilants. Nous avons fait le choix de ne pas travailler dans le même commissariat même si cela était possible, pour ne pas passer notre temps à vouloir assurer la sécurité de l’autre. Nous avons aussi pris le parti de prendre, dans les semaines à venir, les dispositions nécessaires pour se protéger mutuellement, s’il arrivait quelque chose à l’un ou à l’autre, et nous en parlons sans tabou en se disant qu’en parler ne fait pas arriver les choses pour autant ».
Concernant le retour à la vie « civile », Marie et son compagnon ont instauré plusieurs règles pour assurer leur sécurité : « Nous restons prudents en ne rentrant pas chez nous en tenue, en ne parlant pas forcément à tout le monde de ce que nous faisons dans la vie, et prenons de nombreuses protections avec les réseaux sociaux : pas de photos en tenue, aucunes indications sur notre travail et encore moins sur le lieu de travail et pas trop d’allusions dans nos statuts sur ce que nous faisons dans la vie. Enfin nous avons une règle, nous ne partons jamais au boulot sans se dire « je t’aime ». Même si nous connaissons nos sentiments respectifs, je ressens ce besoin de le dire à mon conjoint avant chaque journée de travail, chaque vacation. Parce que si le pire devait arriver, je veux qu’il le sache ».
Une arme de service à la maison
Au lendemain de l’assassinat des deux fonctionnaires de police à Magnanville, Bernard Cazeneuve a annoncé que l’autorisation pour les forces de l’ordre d’être armés hors-service serait prolongée après la fin de l’état d’urgence. Une nouvelle particulièrement attendue par les familles : « C’était primordial. Il faut qu’il puisse se protéger lui et sa famille et s’il est amené à devoir nous défendre, il le fera. Nous avons un enfant âgé d’un an, je ne me vois pas l’élever toute seule », explique Léa.
Pour Elodie en revanche,la question de la légitime défense complique la marge de manœuvre des gardiens de la paix : « Cela permettrait à des agents sur place de pouvoir agir ou éviter un massacre sanglant mais le problème de la légitime défense se posera toujours. Si un agent doit attendre de se prendre une balle pour pouvoir riposter, ce n’est pas possible… Cette mesure doit être encadrée parce qu’elle est nécessaire et urgente ».
*Tous les prénoms ont été modifiés