REPORTAGEComment la mère d'une victime de Merah combat la radicalisation

Lutte contre la radicalisation: «Grâce à vous, mon approche du pays et de la République, c'est plus la même»

REPORTAGEDepuis l'assassinat de son fils, Imad Ibn Ziaten, le 11 mars 2012, Latifa Ibn Ziaten sillonne écoles, collèges, lycées et prisons de France pour promouvoir le dialogue auprès d'une génération «oubliée»...
Hélène Sergent

Hélène Sergent

De notre envoyée spéciale à Tarascon (Bouches-du-Rhône),

Loïc*, crâne rasé et collier de barbe, a le visage posé sur la tranche du livre qu’il tient entre ses mains. Sur la couverture, on distingue ces lettres rouges, « Mort pour la France », et le visage de Latifa Ibn Ziaten. Depuis la mort de son fils le 11 mars 2012, assassiné par Mohamed Merah à Toulouse, cette mère de cinq enfants, « d’origine marocaine, française et musulmane », tape aux portes des centres de détention, maisons centrales ou tout établissement pénitentiaire qui accepte de la recevoir. Ce lundi 13 juin, une trentaine de détenus de la prison de Tarascon (Bouches-du-Rhône) est venue l’écouter. Objectif de son intervention, à laquelle 20 Minutes a pu assister : dialoguer, témoigner, échanger avec jeunes (et moins jeunes), condamnés à un an de prison ou plus.

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« Un cœur vide »

Face à son auditoire, qu’elle nomme « mes chers messieurs », Latifa Ibn Ziaten déroule tout. Son arrivée en France à l’âge de 17 ans, ses galères, ses joies familiales, l’amour infini porté à ce fils « mort debout », le 11 mars 2012. Avec des mots simples, la mère d’ Imad, nom donné à son association, ne cache ni la rancœur à l’égard de l’Etat et des médias, qui ont mis près de 4 jours à reconnaître la dimension terroriste des actes de Merah, ni sa préoccupation face à ces jeunes de plus en plus nombreux qu’elle qualifie de « bombes à retardement (…) qui ont soif de religion ».

À son témoignage s’ajoutent des conseils de vie, une morale tirée de son expérience, de son passé. Religion, rapport à l’Etat, éducation, laïcité, Latifa Ibn Ziaten joue face à ces « gamins perdus » un substitut de mère, de « Tata ». À plusieurs reprises, elle insiste sur le rôle de la cellule familiale, la nécessité pour les jeunes de trouver des repères, remèdes les plus efficaces selon elle à l’isolement, la haine, la radicalisation : « Mohamed Merah ? J’ai suivi tout son parcours, je lui ai pardonné. C’était un mal-aimé, il n’avait personne. Un homme qui tire sur un enfant de trois ans a le cœur vide (…) Et l’Etat ne remplacera jamais l’amour d’un père ou d’une mère ».

« Quand on fait des erreurs, on nous appuie sur la tête »

Un père, une mère, face à elle, certains détenus n’en ont pas eu ou si peu. À qui revient la responsabilité de leurs erreurs, de leurs errements ? Pour Nacim* et Mehdi*, une grande partie à eux-mêmes, mais certainement pas à leurs proches. « À 11 ans, je me suis retrouvé en foyer. Qui était derrière moi ? C’était pas l’Etat en tout cas. Toute ma vie, je l’ai vu, je l’ai entendu, on m’a dit : "t’es un arabe, mets-toi là, va au fond". L’État ne nous fait pas de cadeau ». Quant à la perspective d’une réinsertion à la fin de leur peine, la tâche semble immense : « Quand on fait des erreurs, on nous appuie sur la tête, on ne nous aide pas à nous relever (…) On veut y arriver, on veut s’en sortir surtout quand on voit la douleur qu’on inflige à nos proches mais on ne nous voit pas comme des êtres humains ».

Ce sentiment d’abandon, Latifa Ibn Ziaten le combat au détour de chaque phrase : « Nous avons tous un moteur en nous, si on le démarre, on avance. Prenez confiance en vous, ce n’est pas parce qu’on n’a pas réussi dans ses études qu’on ne réussira jamais ». Des encouragements, des mots apaisés que la trentaine de détenus entend volontiers, à l’instar de Jérôme : « J’ai lu votre livre, je voulais vous remercier d’être venue nous voir. J’ai grandi dans une cité, on voit et on vit certaines choses, vous le savez. Mais depuis que j’ai lu votre livre, mon approche du pays et de la République, c’est plus la même ».

Puis vient le tour de Loïc, jeune converti à l’islam : « Quand ma mère m’a vu pour la première fois avec ma barbe, elle m’a dit : "t’es un terroriste ?". Elle m’a demandé de la raser. Je me suis rasé, mais on s’est embrouillés encore au parloir, elle n’a pas accepté. Je ne l’ai pas vue depuis un an et demi ». Solitude d’un fils, inquiétude d’une mère, Latifa Ibn Ziaten cherche ses mots puis rassure une dernière fois : « Elle a été touchée dans sa chair, elle a peur pour toi, que tu tombes dans cette secte. Il faut que tu ailles vers elle, que tu la touches avec tes mots ». Les mots d’un fils, à une mère.

* Tous les prénoms des détenus ont été modifiés