Les cinq zones d'ombres de l'arrestation d'un Français en Ukraine, suspecté de préparer des attentats
ENQUETE•Les informations délivrées par les autorités ukrainiennes posent bien des questions...Delphine Bancaud
Qui est-il ? Quels étaient ses projets ? A quelle mouvance appartient-il ? Depuis l’annonce lundi de l’arrestation en Ukraine d’un Français soupçonné d’avoir voulu commettre des attentats pendant l’Euro, les questions se multiplient. 20 minutes fait le point sur les zones d’ombre qui demeurent dans ce dossier.
Les doutes sur les intentions de l’homme
Le jeune homme a été arrêté en possession d’un arsenal de guerre : 125 kg de TNT, deux lance-roquettes antichar, cinq fusils d’assaut Kalachnikov et plus de 5.000 munitions, selon les services secrets ukrainiens (SBU). Mais s’apprêtait-il à commettre des attentats ou participait-il à un trafic d’armes ? D’après le SBU, il prévoyait « quinze attentats terroristes en France à la veille et pendant le championnat ». Des actions qui auraient pu être motivées par son appartenance à la mouvance d’extrême-droite. Car selon la SBU il aurait déclaré aux policiers son opposition à la politique migratoire de la France et à « la diffusion de l’Islam ». Il aurait d’ailleurs voulu viser entre autres une mosquée, mais aussi une synagogue. Selon Le Figaro, « de nombreux jeunes d’extrême-droite se rendent en Ukraine pour combattre dans des milices paramilitaires, aussi bien du côté ukrainien que du côté russe ».
Mais les enquêteurs français n’ont pour l’heure pas confirmer une éventuelle piste terroriste et vont demander des compléments d’information aux Ukrainiens. D’ailleurs le parquet antiterroriste n’a pas été saisi pour le moment. Quant à la perquisition menée par les policiers français à son domicile, elle n’a rien donné de probant, hormis la découverte d’un T-shirt portant le signe d’un groupe d’extrême-droite.
Les enquêteurs français semblent privilégier la piste du trafic d’armes. Une enquête a été ouverte et confiée à l’Office central de lutte contre la criminalité organisée et au service régional de la police judiciaire de Nancy (est). Reste que l’ampleur de cet arsenal de guerre suscite les interrogations : comment un jeune de 25 ans, ouvrier agricole, aurait-il pu financer un achat qui se chiffre au bas mot en dizaines de milliers d’euros ?
Son profil reste mystérieux
L’homme de 25 ans est inconnu des services secrets français. Domicilié à Nant-le-Petit, un village de la Meuse (est) de 80 habitants, il est employé comme inséminateur de vaches dans une coopérative agricole. Il est décrit comme un homme tout à fait respectable par son entourage. Le maire du village dit de lui qu’il est « agréable, intelligent et sympathique » et son employeur le qualifie de « salarié irréprochable ». Aucun des témoins interrogés à son sujet n’a évoqué un profil d’extrême-droite et une voisine soutient même qu’il « ne parlait jamais de politique, même après les attentats » en France. Des propos qui pourraient mettre en doute ceux des autorités ukrainiennes. A moins que le jeune homme ait tout fait pour se fondre dans la masse afin de ne pas attirer l’attention sur lui.
Reste à savoir ce qu’il faisait en Ukraine. Ses proches sont sûrs qu’il s’y rendait pour des motifs sentimentaux. « Il nous a dit qu’il avait une chérie en Ukraine et qu’il allait de temps en temps chez elle », a indiqué à l’AFP un de ses proches. « Son rêve était de s’installer en Ukraine, d’y construire une ferme », racontent deux autres.
Des questions se posent sur la vidéo de l’arrestation
Premier fait étonnant : l’arrestation du Français a eu lieu le 21 mai en Ukraine et le film montrant son interpellation n’a été diffusé que lundi. Pour leur défense, les services secrets ukrainiens affirment qu’ils ne voulaient communiquer qu’à la fin de l’Euro-2016 mais que les fuites dans la presse française les ont obligés à rendre l’affaire publique.
Son arrestation a été entièrement filmée, sous différents angles et par plusieurs caméras, ce qui a interpellé de nombreux experts. Les images ont été montées par le SBU et sont surprenantes. On y voit l’homme dans un garage en train de charger des armes dans sa camionnette, puis les policiers l’arrêter, alors qu’il monte et s’assoit dans son véhicule. Les forces de l’ordre arrivent précipitamment et le plaquent au sol. Son arsenal est ensuite filmé en gros plan. Une mise en scène des autorités ukrainiennes qui ne peut qu’interroger.
L’homme est-il un loup solitaire ou a-t-il un complice ?
Sur la vidéo, un deuxième homme apparaît clairement à l’image. Il se trouve dans le véhicule, avec le Français, et est lui aussi interpellé et plaqué au sol par les forces de l’ordre. Aucune information sur l’identité ou le rôle de ce deuxième homme n’a filtré jusqu’à présent.
« Peut-être que nous en parlerons plus tard. Mais pour l’instant, sans autorisation de l’enquêteur, je ne peux pas révéler de détails. C’est dans l’intérêt de l’enquête », s’est contenté de déclarer à l’AFP la porte-parole du SBU, Olena Guitlianska.
La position de l’Ukraine dans ce dossier n’est pas claire
Les autorités ukrainiennes ont bien insisté sur leur rôle. « Nous avons été en mesure d’empêcher une série d’attaques terroristes », a affirmé Vasyl Hrytsak, chef du SBU (Service de sécurité d’Ukraine), qui a évoqué le projet d’une quinzaine d’attentats.
Mais l’attitude de l’Ukraine dans ce dossier est étrange. Les autorités ont indiqué qu’elles avaient repéré cet homme en décembre 2015, mais elles n’ont pas prévenu leurs homologues français qu’elles surveillaient un Français sur leur territoire, selon une source policière française.
D’après une autre source policière, ce sont les gardes-frontières polonais qui ont fait le premier signalement à la France. Ensuite, l’attaché de sécurité intérieure couvrant la zone a récolté avec difficulté des éléments auprès des autorités ukrainiennes. Le contexte diplomatique pose question aussi car l’Ukraine est en pourparlers avec l’Union européenne avec pour objectif l’introduction de la libre circulation des Ukrainiens en Europe. « Ils veulent qu’on les remercie, qu’on leur soit redevables », estime source diplomatique au quotidien suisse Le Temps.