«Gynophobie»: «Mettre sous le même terme toutes les violences faites aux femmes aidera la justice»
INTERVIEW•La réalisatrice Lisa Azuelos milite pour la création du mot « gynophobie » dans un livre-manifeste publié ce mercredi…Propos recueillis par Audrey Chauvet
Elle raconte avoir été élevée dans une famille où les hommes parlaient et les femmes se taisaient. Elle dit sa révolte face aux multiples violences faites aux femmes dans le monde, de l’excision au harcèlement de rue en passant par la burqa et le viol. Lisa Azuelos, réalisatrice notamment des films Comme t’y es belle et LOL, veut aujourd’hui créer un mot pour regrouper tous ces actes : la « gynophobie ». Ce mercredi, son livre Ensemble contre la gynophobie (éd. Stock), sort en librairie, alors que l’affaire Baupin secoue la classe politique.
Vous qui dénoncez toutes les violences contre les femmes, comment avez-vous réagi aux révélations concernant Denis Baupin ?
Je n’attends pas Denis Baupin pour savoir qu’une femme se fait violer toutes les 40 minutes en France et que les hommes politiques aiment le pouvoir, donc sont des prédateurs en général et prédatent donc les femmes. Une fois c’est DSK, une fois c’est Baupin, mais pour un nom qui sort il y en a dix qui ne sont pas nommés. Ce qui m’a le plus interpellée dans cette affaire, c’est de savoir combien de Français ont réellement trouvé ça grave, s’ils se rendent compte de ce que ce serait si c’était leur fille qui était concernée. Et par ailleurs, comment un homme politique qui ne respecte pas les femmes peut-il respecter la République ?
Vous militez pour la création d’un mot, « gynophobie », qui engloberait tous les actes agressifs envers les femmes. Peut-on vraiment mettre sous le même terme l’excision et les sifflets dans la rue ?
Je pense qu’il faut justement tout mettre sous le même terme, sinon on a des mini-combats disséminés. A titre de comparaison, traiter quelqu’un de sale juif dans la rue ou profaner une tombe c’est de l’antisémitisme, même si ça n’a rien à voir. Donc je ne vois pas pourquoi on ne fait pas pareil avec les femmes. Ne pas nommer le problème ne permet pas de trouver de solutions. Si beaucoup de gens utilisent le mot « gynophobie », il finira par entrer dans le langage. Si « zlataner » est entré dans le dictionnaire, « gynophobie » y a sa place aussi…
Concrètement, que pourrait permettre ce nouveau mot ?
Cela aiderait la justice donc ce serait plus simple de porter plainte. On a compris depuis longtemps que les pouvoirs publics ne s’intéressent pas à ces sujets, voire les redoutent et pour cause. Ne pas relier le fait de se faire traiter de sale pute avec le mariage forcé, la lapidation, l’excision, empêche de créer une conscience commune qui ne pourra se concrétiser qu’avec un mot fédérateur. Il est important de s’organiser, que l’on se regroupe pour défendre notre intérêt social, économique et intime.
Est-ce qu’il n’y a pas avant tout des choses à faire dans la sphère privée, de la famille, avant de se regrouper dans une association ?
Le premier livre que j’ai écrit était un Manuel à l’usage des filles qui auraient dû dire non. Les femmes doivent apprendre à dire non de manière beaucoup plus claire. C’est de leur responsabilité de ne pas reproduire le modèle de la gentille petite fille qui devient une femme qui a peur de déplaire. Quant aux hommes, ils doivent pouvoir contrôler leur désir, ce qui ne fait pas partie de notre culture, d’autant plus que le désir d’aujourd’hui est un désir de consommation dont il faut sortir la consommation de l’amour physique.
Vous faites le lien avec le déficit d’éducation sexuelle, y compris en France ?
Dès que la sexualité est enseignée de manière normale à l’école, de façon claire, ouverte, publique, les relations entre les hommes et les femmes sont facilitées. En France, on a un pauvre cours d’éducation sexuelle au collège. Vu tous les problèmes qu’on traverse, il faudrait repartir à zéro et expliquer ce qu’est une fille, un garçon, comment on se parle, ce qui est possible ou pas… Personne n’ose en parler aujourd’hui.