Loi Travail: Après le 49.3, la mobilisation risque-t-elle de s'intensifier?
LOI TRAVAIL•Depuis l’annonce, mardi, par le Premier ministre, Manuel Valls, du recours au 49-3 pour adopter le projet de loi Travail, les acteurs de la contestation s’organisent et souhaitent intensifier la mobilisation…Hélène Sergent
Le rapport de force a débuté. Vingt-quatre heures après la décision prise par Manuel Valls de recourir à l’article 49-3 pour faciliter l’adoption du texte sur la loi Travail, le collectif Nuit Debout s’est fendu d’un communiqué aux allures d’ultimatum : « Si Manuel Valls persiste dans cette voie, nous répondrons par tous les moyens légitimes en proportion au mépris affiché ». Alors qu’ un sondage Elabe pour BFMTV, publié le 4 mai, faisait état d’une opposition au texte, porté par Myriam El-Khomri, de trois Français sur quatre, le gouvernement a choisi, comme lors des dissensions autour de la loi Macron, de passer en force. Attendu par les acteurs de la contestation, le 49-3 n'en reste pas moins un symbole fort qui pourrait amorcer un tournant dans la mobilisation.
La référence au « CPE »
Si la date du 6 février 2006 ne dit peut être pas grand choses aux lycéens qui manifestent contre la loi Travail depuis le 9 mars dernier, elle parle probablement aux responsables syndicaux qui se sont mobilisés contre le Contrat premier embauche (CPE). A cette époque, le Premier ministre Dominique de Villepin fait passer en force le projet qui finit par être abrogé sous la pression de la rue.
Pour Patrick Cingolani, sociologue et auteur de « La révolution précaire » (Ed. La Découverte, 2014), le parallèle entre le CPE et la loi Travail repose sur l’action du gouvernement : « Dans un cas comme dans un autre, on note une absence de sensibilité, un désir de rompre et de ne pas tenir compte de la dynamique sociale. Sauf que c’est plus difficilement compréhensible venant d’un gouvernement socialiste. »
Pour Caroline De Haas, féministe, à l’origine aux côtés d’autres militants, d’une pétition contre la réforme du Code du travail, l’abandon du CPE après le 49-3 est bien le signe que la mobilisation actuelle peut s’intensifier : « Même si rationnellement je savais qu’ils allaient recourir au 49-3, au moment de l’annonce j’ai ressenti du dégoût à l’égard de ce gouvernement pour lequel nous avons voté. La colère a pris le dessus. Mais l’abrogation du CPE est bien le signe que la colère peut l’emporter sur la résignation. »
Recentrer la contestation
Preuve du poids du symbole, quelques heures après l’annonce par Valls du recours au 49-3, plusieurs manifestations se sont organisées devant l’Assemblée nationale à Paris et devant des bâtiments institutionnels en province. Leila Chaibi, cofondatrice de jeudi Noir et membre active du mouvement Nuit Debout, note que les conséquences ont été quasi immédiates sur le mouvement : « Ces derniers temps, les débats s’étaient focalisés sur les débordements et les violences policières. Là on repart sur l’essence même du mouvement. » Une concentration qu’analyse également Patrick Cingolani : « La question de l’adversaire s’était estompée, l’attitude du gouvernement réactive cette figure du conflit, en termes d’opposition explicite. Ça rouvre le mouvement au conflit alors qu’il était jusqu’ici davantage concentré sur la recherche d’alternatives politiques et sociétales. »
Une colère saine, donc, selon Danielle Simonnet, conseillère de Paris et coordinatrice du Parti de Gauche : « Ça va intensifier la mobilisation, il y a une colère qui explose. Le recours au 49-3 est l’ultime déni démocratique de ce gouvernement et les syndicats mobilisent d’ores et déjà leurs réseaux par des appels à la grève. J’ai le sentiment que le gouvernement vient de basculer et cette accélération dans le vide aggrave profondément la crise de régime actuelle. »
Nourrir la contestation radicale
Intensifier la mobilisation, recentrer les revendications… L’effet « 49-3 », risque-t-il de s’accompagner d’une recrudescence des violences et des débordements ? Pour Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme et des mouvements sociaux, deux scénarios sont possibles : « Soit on assiste à un épuisement du mouvement à cause du 49-3 qui peut être vécu comme une résignation, soit cela entraîne une remobilisation. Le risque majeur du recours à ce fameux article, c’est que cela peut nourrir des formes de contestations radicales et violentes, les militants considérant qu’ils font face à des méthodes symboliquement violentes de la part du gouvernement. »
D’autant que d’autres contestations peuvent se greffer à la mobilisation anti loi Travail souligne l’historien : « L’usage du 49-3 tend à fermer les marges de manœuvre. Aujourd’hui, il n’en existe plus. La CGT, FO et les syndicats étudiants ont décidé de mettre en place une mobilisation plus récurrente et plus forte. L’autre risque pour le gouvernement étant que le mouvement de grève des cheminots, particulièrement suivi au sein de la SNCF, se greffe sur les manifestations contre la réforme du Code du travail. »
Philippe Martinez, leader de la CGT, a d’ores et déjà annoncé la couleur des prochains joursdans un article publié sur Mediapart ce mercredi : « Le 49.3 ne nous arrête pas du tout, ce n’est pas un coup fatal porté au mouvement, mais le début d’une nouvelle séquence. […] Je peux vous dire que plusieurs professions parlent désormais de la grève reconductible, les cheminots, les routiers, Air France, Aéroports de Paris, les portuaires, les marins, même si rien n’est encore vraiment défini. »
Dès demain, jeudi, de nouveaux cortèges s’élanceront un peu partout en France, pour une nouvelle journée de contestation.