La bataille judiciaire des victimes de violences sexuelles
AFFAIRE BAUPIN•Du dépôt de plainte à la tenue d'une l’audience, les étapes de la procédure judiciaire s’accompagnent de nombreuses difficultés pour les victimes...Hélène Sergent
Au lendemain des révélations d’élues écologistes mettant en cause Denis Baupin, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris, précisant n’avoir reçu, pour le moment, aucune plainte. Peur des représailles, incapacité à mettre des mots sur ce qu’elles ont subi, absence de preuve matérielle ou crainte de voir leur récit discrédité ou nié, les freins au dépôt de plainte des victimes de violences sexuelles sont nombreux.
Selon les chiffres publiés en novembre 2015 par l’observatoire national des violences faites aux femmes, seules 10 % des victimes de viol ou tentative de viol déposent plainte. Plus de la moitié des femmes ne se rendront jamais au commissariat, ne consulteront ni médecin, ni psychiatre ni psychologue. Pour celles qui parviennent et qui peuvent se lancer dans une procédure, le chemin vers la réparation judiciaire s’avère souvent long, pénible et douloureux.
La qualification des faits
Le Code pénal français définit trois violences sexuelles distinctes :le harcèlement sexuel, délit passible de 2 ans de prison et de 30.000 euros d’amende, l’agression sexuelle, délit passible de 5 ans de prison et de 75.000 euros, et le viol, crime susceptible d’être puni de15 ans de prison.
Pour Catherine Le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l’AFVT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), la disqualification des faits pose d’immenses difficultés : « Les violences sexuelles sont rarement traitées à la hauteur de ce que le droit prévoit. Les difficultés débutent au commissariat de police ou à la gendarmerie lorsque les agressions sexuelles se retrouvent qualifiées de harcèlement. On pourrait se dire "ce n’est pas grave, ce ne sont pas aux policiers de qualifier les faits mais au parquet". Sauf que quand le procureur récupère un dossier dans lequel il est écrit sur chaque page harcèlement sexuel, il est probable qu’il s’oriente là-dessus et non sur agression sexuelle. »
Quant au viol, il est régulièrement correctionnalisé. Cela signifie que l’auteur présumé ne sera pas jugé devant une cour d’assises (comme c’est le cas pour les crimes) mais devant un tribunal correctionnel. Dans leur ouvrage « Le viol, un crime presque ordinaire », Audrey Guillet et Nolwenn Weiler notent : « En correctionnelle, la moyenne des peines est d’un an et 9 mois. Elle est de six ans aux assises. Les relaxes sont deux fois plus nombreuses en correctionnelle. »
Des preuves matérielles difficiles à apporter
Si la formation et la sensibilisation des fonctionnaires de police et des gendarmes tendent à s’améliorer, les affaires de violences sexuelles n’aboutissent pas faute de preuves matérielles suffisantes souligne Véronique Léger, secrétaire nationale de l’USM (Union syndicale des magistrats) : « Si c’est la parole de l’un contre celle de l’autre, s’il n’y a pas de preuve matérielle, pas d’ADN, pas d’élément tangible, le doute profite à la personne mise en cause. »
Un paradoxe que déploreIsabelle Steyer, avocate spécialisée dans le droit des enfants et le droit des femmes : « Il faut un récit détaillé, circonstancié de la victime, le plus proche de l’instant T de l’agression, donc le plus proche du traumatisme. La qualité du témoignage est télescopée par le traumatisme or plus le dépôt de plainte intervient tôt, plus il existe une possibilité de trouver des preuves matérielles (témoins éventuels, objets ou vêtements marqués par l’agression et l’agresseur etc.). » Dans un avis rendu en juillet 2012 par la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, « plus de la moitié des procédures pour harcèlement sexuel a fait l’objet d’un classement au motif que l’infraction n’était pas constituée. »
Une justice toujours en proie aux stéréotypes
Si la qualité de l’accueil des femmes victimes de violences sexuelles dans les commissariats a été régulièrement fustigée, l’ensemble des acteurs des procédures est responsable de la « sous-judiciarisation » de ces faits selon Catherine Le Magueresse : « Cela dépend énormément du juge d’instruction. Il peut s’agir d’un magistrat éveillé et formé sur ces questions mais ce n’est pas toujours le cas. Sur ces questions de violences sexuelles, le bon sens semble suffire. Or instruire un dossier de violences sexuelles requiert des compétences spécifiques comme lorsqu’il s’agit d’instruire un dossier financier par exemple. Les stéréotypes imprègnent encore profondément les professionnels de justice. »A Bordeaux, dans les murs de l’Ecole nationale de la magistrature, la question des violences sexuelles a récemment intégré les programmes de la formation continue.
Mais toutes ces évolutions demandent du temps regrette la juriste : « J’ai retrouvé une lettre ouverte rédigée et envoyée en 1999 à tous les partis politiques lorsque je faisais partie de l’AFVT. On leur demandait de prendre position sur des questions relatives à des cas de violences sexuelles commises par un élu… ». Dix-sept ans après, ces questions sont toujours tristement d’actualité.