Sous-marins DCNS: Comment la France a décroché un «mégacontrat» avec l'Australie
DEFENSE•Le groupe français DCNS s’est imposé face à ses concurrents allemand et japonais pour obtenir un contrat de construction de douze sous-marins pour l'Australie…Hélène Sergent
Un « motif de fierté », un « éclatant succès », une « excellente nouvelle »… Depuis l’annonce officielle, ce mardi matin par le premier ministre Australien, Malcolm Turnbull, de l’attribution d’un contrat portant sur la construction de 12 sous-marins militaires au constructeur français DCNS, la classe politique exulte.
En lice aux côtés de l’Allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) et du consortium japonais conduit par Mitsubishi Heavy Industries (MHI), DCNS a décroché le plus gros contrat que la France ait obtenu avec un pays étranger depuis 25 ans, estimé à 34 milliards d’euros. Comment ce groupe industriel spécialisé dans l’industrie navale militaire a pu et su s’imposer comme partenaire incontournable aux yeux du gouvernement australien ?
- Les atouts techniques
Lors de sa conférence de presse, le chef du gouvernement australien a détaillé son choix : « La décision a été motivée par la capacité de DCNS à répondre à l’ensemble des exigences du gouvernement australien. Le groupe a notamment su proposer des performances supérieures en matière de capteur et de rapidité, ainsi que des capacités de projection et de longévité. » Contrairement à ses concurrents, le constructeur hexagonal basé à Cherbourg (Manche) propose déjà un sous-marin similaire, le « Barracuda », et a établi des transferts de compétences avec plusieurs Etats étrangers comme le Brésil, l’Inde ou le Pakistan.
Pour Bruno Tertrais, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), c’est cet aspect qui a prévalu sur le reste : « DCNS a présenté le meilleur projet en matière d’expérience et le produit correspondait à ce qu’attendaient les autorités australiennes. » Un point de vue que partage Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « L’offre française ne comportait pas véritablement de point négatif. La proposition technologique et industrielle était solide, plus solide que celle des Allemands », ThyssenKrupp n'ayant jamais produit de sous-marin de la classe des 4000 tonnes, modèle convoité par Malcolm Turnbull.
- L’enjeu diplomatique
Si le savoir-faire des ingénieurs et l’expérience de la firme en matière d’industrie navale militaire ont fortement pesé dans la décision de Malcolm Turnbull, d’autres paramètres ont été pris en compte par les autorités australiennes. Le montant et l’enjeu militaire de la commande exigent un partenariat fort et d’excellentes relations diplomatiques. La France, grâce à sa présence en Océanie depuis la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, est devenue au fil des ans, un acteur régional « non négligeable », souligne Bruno Tertrais.
Soucieuse de renforcer sa flotte navale face aux ambitions régionales de la Chine, l’Australie a également noué une relation particulière avec le Japon de Shinzo Abe. Une relation qui a placé un temps le consortium japonais en tête dans cette course aux sous-marins. « Les Etats-Unis ont également joué un rôle dans ce contrat puisqu’il s’agit d’un acteur stratégique de la région. La question de l’alliance de sécurité avec les Australiens et les Japonais est importante. Quand l’appel d’offres a été lancé, le gouvernement a mis en place un panel d’experts pour guider son choix, et dans ce panel se trouvait l’ancien secrétaire d’Etat à la Navy, l’Américain Donald Winter, précise Jean-Pierre Maulny, on a d’ailleurs longtemps cru qu’ils favoriseraient les Japonais ». La ferme opposition nippone aux manœuvres militaires chinoises et les tensions entre les deux pays sur la nationalisation des îles Diaoyu/Senkaku, auraient joué en défaveur du consortium Japonais.
- La question de l’emploi, « argument fondamental »
La question de l’emploi et du transfert de compétences a également joué un rôle central dans le choix des Australiens. Lorsque Canberra a lancé son appel d’offres, le Japon n’a pas mesuré l’ampleur de l’enjeu économique. « Le sud du pays et la région d’Adélaïde ont été sinistré suite à la baisse de commandes dans les chantiers navals. Or nous sommes actuellement à trois mois des prochaines élections législatives en Australie », rappelle le directeur adjoint de l’IRIS. Dès le départ, les Japonais avaient émis le souhait de produire l’intégralité des sous-marins sur leur sol. Une éventualité qui a soulevé à l’époque des protestations au sein de la classe politique australienne et qui a poussé les Nippons à s’aligner sur l’offre française et allemande.
Dans son allocution prononcée ce mardi matin, le premier ministre Malcolm Turnbull a évoqué un investissement de 50 milliards de dollars australiens en matière d’emploi permettant de maintenir près de 1.100 postes. Si le premier sous-marin sera construit à Cherbourg, DCNS et ses principaux actionnaires (l’Etat Français et l’entreprise Thalès) se sont engagés à construire le reste des appareils en Australie.
Pour autant le succès de l’industriel français assure aux chantiers navals de Cherbourg et à l’entreprise une coopération sur le long terme. Si le ministre de la Défense,Jean-Yves Le Drian, s’est réjoui et a évoqué le chiffre d’un « millier » d’emplois en lien avec ces 12 sous-marins militaires, Jean-Pierre Maulny tient à préciser : « L’Australie a simplement annoncé son choix du partenaire. Il va maintenant y avoir des négociations entre les parties et le contrat ne sera probablement pas signé avant 2017. Le détail des retombées économiques ne pourra être évalué qu’une fois le contrat signé. »
Une chose est certaine, le succès de DCNS assure la pérennité des sites de l’entreprise. En octobre dernier, l’industriel avait entamé des négociations visant à supprimer, entre 2015 et 2018, 1.000 postes sans licenciements secs.