Loi Travail: Les autres pays européens se réforment eux aussi, mais est-ce efficace?
SOCIAL•Depuis 2008, les pays de l’Union européenne ont voté pas moins de 600 textes pour réformer leur marché du travail...Céline Boff
Et de six. Samedi, plusieurs organisations de jeunesse et certains syndicats de salariés appellent à une sixième manifestation contre le projet de loi El Khomri. Ils continuent de demander le retrait de ce texte, l’estimant dangereux pour les salariés. Il contient en effet plusieurs mesures visant à assouplir l’actuel droit du travail.
Une voie que la France n’est pas la seule à suivre, surtout depuis la crise : « Sur la période 2008-2014, 600 réformes relatives au marché du travail ont été conduites dans les pays européens – soit plus du double qu’entre 2000 et 2007 – et les deux tiers ont portésur des assouplissements du droit du travail », lance Raymond Torres, directeur du département de la recherche à l’Organisation internationale du travail (OIT).
Les pays européens ont d’abord facilité les licenciements, par exemple en allégeant les procédures commel’ont fait l’Espagne ou le Royaume-Uni, ou les compensations, avec des indemnités légales qui ont baissé, notamment au Portugal et aux Pays-Bas. L’Italie a également développé de nouvelles formes de rupture du contrat de travail par consentement mutuel, quand le Royaume-Uni et l’Irlande ont cherché à réduire la possibilité de recourir à un juge en cas de licenciement abusif.
Partout en Europe, les réformes ont également donné plus de poids aux accords d’entreprises qui permettent aux employeurs de négocier pour leurs salariés des conditions moins favorables que celles prévues par les branches ou par la loi.
Les demandeurs d’emploi n’ont pas non plus été épargnés, avec une baisse de la durée d’indemnisation, notamment au Danemark, au Portugal et aux Pays-Bas, un renforcement de la dégressivité, par exemple en Suède et en Italie, ou encore un raffermissement des contrôles, comme l’ont entre autres voté le Portugal, l’Espagne et les Pays-Bas.
Bref, face au ralentissement de la croissance, à la progression de la mécanisation et au renforcement de la mondialisation, les pays européens ont cherché à flexibiliser les contrats et à réduire le coût du travail, comme le détaille un rapport réalisé par le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE). Pas toujours de gaîté de cœur : l’Irlande, le Portugal ou encore l’Espagne ont par exemple mené ces réformes sous la pression de la Troïka – c’est-à-dire du trio Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international (FMI). S’ils ne l’avaient pas fait, ils n’auraient pas reçu d’aide financière de sa part.
En Allemagne, le chômage a reculé mais la pauvreté s’est accrue
Comme c’est le cas actuellement en France, les gouvernements européens ont pensé que cette stratégie de l’assouplissement viendrait doper l’emploi. A raison ? Les économistes ont du mal à répondre à cette question. D’abord parce que la plupart des réformes ont été mises en place récemment et que le recul manque pour évaluer leurs effets.
Bien sûr, le chômage a baissé dans l’UE depuis son pic de 2013. Mais il reste toujours bien supérieur à son niveau d’avant crise : 9,6 % fin mars 2015 contre 6,9 % en décembre 2007 – soit avant les réformes. Surtout, comme le rappelle le CEO, les dernières études démontrent que c’est le retour de la croissance bien plus que les réformes du travail qui ont permis la recrudescence des embauches. Ainsi, en Italie, la hausse du PIB aurait permis la création des trois quarts des nouveaux emplois, la réforme du travail ne jouant que pour un quart.
Se pose également la question de la qualité des emplois créés. Sont-ils pérennes ? Permettent-ils à ceux qui les occupent de vivre dignement ? Par exemple, l’Allemagne est le premier pays européen à avoir flexibilisé son marché du travail. Il l’avait fait bien avant la crise, dès 2003, et treize ans plus tard, « il reste difficile de porter un diagnostic arrêté », affirme Odile Chagny, économiste à l’Institut de recherche économique et sociale.
Car si le chômage a baissé, la pauvreté a augmenté. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’en Allemagne, « les derniers encadrements sont venus renforcer les droits des travailleurs », souligne Patrick Rémy, maître de conférences en droit à l’Université Paris 1.
Un effet positif pour les entreprises
Pour Eric Heyer, économiste à l’OFCE, il est clair « qu’à court terme et a fortiori dans un contexte de crise, la flexibilité joue négativement sur l’emploi, car les entreprises commencent par ajuster leurs effectifs à la demande. Elles ne cherchent à gagner des parts de marché que deux à trois ans plus tard ». Cet expert regrette surtout que les puissances publiques ne cherchent jamais « à s’attaquer aux causes profondes et structurelles du chômage, par exemple au mal logement ».
Si les réformes du travail favorisent in fine peu l’emploi, elles profitent en revanche aux entreprises : dans tous les pays européens, ces dernières ont pu améliorer leur compétitivité-coût. Grâce à la modération salariale mais aussi, parfois, grâce à la baisse des cotisations sociales.
Du coup, ce sont les citoyens qui en ont payé le prix : « Dans les pays où il y a eu beaucoup de réformes, il y a eu une perte de pouvoir d’achat », assure Raymond Torres. Et une hausse de la pauvreté, qui n’a cessé de progresser dans l’UE depuis 2007. Dans le même temps, la demande a reculé. Quant à l’épargne, elle reste toujours très forte. Preuve que les consommateurs n’ont toujours pas retrouvé la confiance.