Attentats de novembre: Un livre choc donne la parole aux témoins du 13 novembre
ATTENTATS•Zineb El Rhazoui, journaliste de Charlie Hebdo qui a échappé à la tuerie du 7 janvier, est l'auteur de «13» qui sort ce jeudi en librairie...Delphine Bancaud
On croit avoir tout lu, tout regardé, tout entendu sur les attentats du 13 novembre. La preuve que non, avec 13*, l’ouvrage de Zineb El Rhazoui, qui sort ce jeudi en librairie. « J’ai voulu donner la parole à ceux qui ne se sont pas ou peu exprimé ailleurs », a expliqué à 20 minutes la journaliste de Charlie Hebdo qui a échappé à la tuerie du 7 janvier. Un livre conçu dans des conditions difficiles, l’auteur vivant toujours sous haute protection, en raison des menaces de mort qu’elle a reçues.
Si dans la préface de l’ouvrage, elle se livre à une prise de position sur l’islamisme et ses racines qui peut susciter le débat, son enquête auprès des protagonistes des attentats de novembre dévoile des aspects inconnus sur la terrible soirée du 13 novembre 2015 et ses conséquences. Car chaque témoignage est exploité dans tous ses recoins. Avec parfois des détails crus sur les blessures des victimes ou les conditions de leur mort qui peuvent agresser, tant elles sont insoutenables. Mais « ce degré de détails est indispensable pour faire comprendre l’état de sidération des survivants après de tels massacres », justifie son auteur.
« Je n’avais jamais pleuré de douleur »
Les récits des survivants de l’horreur sont évidemment les plus poignants. Comme celui de Jérémy Maccaud,rescapé du Bataclan, qui est resté plusieurs heures bloqué avec une quarantaine de personnes dans une loge de la salle de concert. Il décrit tour à tour son réflexe de survie lorsqu’il tente de fuir les terroristes, sa terreur lorsqu’il entend avec ses comparses d’infortune les tirs en rafales, puis le silence pendant deux heures avec l’angoisse que les assaillants surgissent. Et enfin, la libération après l’assaut de la police et les images qu’il garde en tête des corps décédés. « Mon réflexe de protection fut d’imaginer que tout cela n’avait pas été réel ; ce charnier, c’est un mauvais cauchemar, un film d’horreur, un jeu vidéo un peu trop gore », confie-t-il. Il y a aussi le témoignage glaçant de Yasser, qui a pris la première balle des terroristes au Bataclan café et qui les a entendus rire en tirant. Et celui de K, pompier de 27 ans, présent au funeste concert, qui s’est vu mourir ce soir-là. « Je n’avais jamais pleuré de douleur », confie-t-il, avant d’expliquer le choix terrible qu’il a dû faire de l’amputation. « Je savais qu’il faudrait que je lui dise au revoir », explique-t-il, en évoquant sa jambe.
L’ouvrage raconte par le menu les opérations, les séances de rééducation, la difficulté de se reconstruire avec un corps mutilé et le traumatisme indélébile. Omar, vigile du stade de France, qui n’a pas été blessé physiquement le 13 novembre mais a vu une victime mourir sous ses yeux, souffre ainsi d’une dépression qui diminue ses facultés psychomotrices. « J’ai l’impression d’être un automate », confie-t-il. « J’avais envie de me faire mal à moi », décrit-il aussi, faute d’avoir eu une prise en charge psychologique dès le début.
« Tout tient à un fil »
Fait surprenant : beaucoup de victimes interrogées n’ont pas de discours de haine vis-à-vis des terroristes. A l’instar de Aca et Tina, cousins blessés parl’explosion d’un kamikaze au Stade de France : « Ils ne méritent que du mépris », estime Tina. Si certains rescapés développent une culpabilité à être encore en vie, l’ouvrage dévoile aussi le cas de ceux qui ont conscience de leur chance d’être toujours là et ont envie de profiter encore davantage de la vie. « Tout tient à un fil, ce qui nous donne après cet incroyable sentiment d’invincibilité », déclare ainsi Jérémy Maccaud. Tout comme Claude-Emmanuel Triomphe, grièvement blessé à La bonne bière, qui se répète sans cesse « J’ai un moral d’enfer » et ne se plaint jamais.
La force du livre tient aussi à sa capacité à décrire le traumatisme de toutes les victimes collatérales des attentats. A commencer par celle de Patricia Correia, dont la fille unique est décédée au Bataclan. On imagine à travers son récit, les heures insoutenables qu’elle a vécu en cherchant sa fille partout après les attentats, le couperet qui est finalement tombé et la découverte du corps mort de sa fille derrière une vitre à l’Institut médico-légal. La mère évoque le dernier SMS qu’elle a reçu de sa fille : « Ce que je retiens, c’est "je veux en profiter", il me foudroie à chaque fois ».
« Un théâtre de guerre »
La journaliste a aussi donné la parole à Houari, Mostefaï, frère d'’un terroriste du Bataclan, qui doit se justifier des horreurs commises par un frère qu’il ne voyait plus depuis deux ans. « Je n’arrive pas à me défaire de la culpabilité. Aujourd’hui, je culpabilise même de sourire. Je n’en ai plus le droit », déclare-t-il.
Et alors que les médias ont surtout décrit leurs interventions après les attentats, Zineb El Rhazoui décrit aussi les traumatismes des soignants. Ceux qui sont intervenus au Bataclan « en sont très marqués », explique ainsi l’urgentiste Patrick Pelloux « Ils ont compris ce que j’ai vécu en janvier », poursuit-il. Ce que confirme le témoignage de Jean-Pierre Tourtier, médecin chef de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris : « La première vision que j’ai eue en arrivant rue Bichat, c’est celle d’un théâtre de guerre, d’une compagnie de combats qui s’est fait accrocher en Afghanistan ou au Sahel ». Il raconte aussi les portables qui sonnaient dans le vide au Bataclan avec le nom des interlocuteurs qui s’affichaient sur l’écran : « J’ai pu lire maman ou mon cœur. Ça m’a beaucoup marqué », raconte-t-il. Des mots qui hantent aussi le lecteur.
* 13, Zineb El Rhazoui, Ring, 18 euros.