INTERVIEWLivre témoignages sur le 13 novembre : «Il fallait consigner toute cette souffrance afin qu’elle ne tombe pas dans l’oubli»

Livre témoignages sur le 13 novembre : «Il fallait consigner toute cette souffrance afin qu’elle ne tombe pas dans l’oubli»

INTERVIEWZineb El Rhazoui, journaliste de « Charlie Hebdo » qui a échappé à la tuerie du 7 janvier, publie ce jeudi 13, qui donne la parole aux témoins des attaques du 13 novembre….
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

Interviewer Zineb El Rhazoui, journaliste de Charlie Hebdo qui a échappé à la tuerie du 7 janvier n’a rien d’anodin, tant la présence policière est importante autour d’elle, la jeune femme étant menacée de mort. Ce jeudi, elle publie 13*, un ouvrage qui donne la parole aux témoins des attaques du 13 novembre. Si dans la préface de l’ouvrage, elle se livre à une prise de position sur l’islamisme et ses racines qui peut susciter le débat, son enquête auprès des protagonistes des attentats de novembre permet de comprendre en profondeur le déroulé des événements et leurs conséquences dramatiques sur tous les témoins directs et indirects de ces drames.

Le fait d’avoir échappé à la tuerie de Charlie Hebdo a-t-il rendu indispensable l’écriture de ce livre ?

Le soir du 13 novembre, l’écriture de ce livre m’est apparue comme une évidence. J’ai voulu l’écrire car je sais par expérience, que la mémoire subjective après de tels événements s’estompe très vite. Or, je pense qu’il est important de figer le ressenti des protagonistes d’un tel drame dans la mémoire collective. Car ces histoires individuelles font au final l’histoire avec un grand H.

Outre les victimes directes, vous donnez la parole à toutes les victimes collatérales des attentats (famille d’un terroriste, soignants, mère d’une victime, policiers…). Estimez-vous que leur souffrance a été insuffisamment prise en compte ?

Je voulais dévoiler les angles morts des attentats pour donner une image globale de leur onde de choc. Car si iles victimes ont été en toute logique, au cœur du travail des journalistes, le traumatisme des policiers, des médecins, des proches des victimes a été moins relayé. Or ce sont ceux eux aussi des victimes du terrorisme, qui n’épargne personne. Je le sais d’autant mieux qu’après la tuerie de Charlie Hebdo, j’ai eu beaucoup de mal à comprendre que j’étais aussi une victime.

A-t-il été difficile de les convaincre ?

Oui, d’ailleurs j’ai essuyé des refus, car certaines personnes ne souhaitaient pas replonger dans le récit détaillé des événements et d’autres avaient peur des représailles des terroristes. Quelques personnes que j’avais sollicitées ont voulu aussi monnayer leur témoignage, ce que j’ai refusé. Les personnes qui ont accepté de me parler au final avaient besoin de cette catharsis salvatrice.

Vous êtes sous protection judiciaire permanente. Cela a-t-il beaucoup compliqué la tâche ?

Oui, car je n’ai pas la liberté de me déplacer à ma guise. J’ai rencontré certains témoins chez eux et une personne a assuré certaines visites que je ne pouvais pas faire à ma place. La rencontre avec la famille du terroriste Mostefaï a été particulièrement compliquée à réaliser car mes gardes du corps ne voulaient pas que j’y aille. J’ai dû finalement « fugué » pour aller à sa rencontre.

Comment avez-vous vécu cette rencontre avec la famille du terroriste ?

C’était intéressant pour moi qui suis la cible de terroriste, de rencontrer des proches de l’un d’eux. Il était important de les faire témoigner pour faire comprendre qu’ils sont eux aussi des victimes. Car ils sont passés de citoyens indignés par les attentats à des personnes désignées presque comme des coupables, alors qu’ils n’ont pas de responsabilité dans les événements survenus le 13 novembre.

Vous racontez de manière assez crue le déroulement des attentats. Était-ce important d’apporter ce degré de précisions pour aider vos lecteurs à réaliser l’impensable ?

Oui, c’était important de dire la vérité de cette violence. Ce degré de détails est indispensable pour faire comprendre l’état de sidération des survivants après de tels massacres. De même, il était important de décrire par le menu toutes les conséquences psychologiques des attentats sur les victimes. Un travail que n’ont pas pu faire les médias au moment des faits. L’écriture de ce livre m’a donné plus de temps. Il fallait consigner toute cette souffrance afin qu’elle ne tombe pas dans l’oubli.

La plupart des victimes que vous avez interrogées n’expriment pas de discours de haine vis-à-vis de leurs bourreaux. Comment l’expliquez-vous ?

Cela confirme ce que j’ai vécu après le 7 janvier. Je n’ai jamais su distinguer Saïd de Cherif Kouachi sur une photo, car le cataclysme provoqué par un attentat est tel, que l’individualité des assassins compte très peu. Par ailleurs, il y a comme un refoulement : les victimes sont tellement endolories qu’elles n’arrivent pas à éprouver de la haine.

Vos témoignages évoquent aussi l’étonnante force de vie qu’ont développée certains des blessés des attentats. Comment l’expliquez-vous ?

Certaines victimes sont capables plus vite que d’autres de faire acte de résilience et réalisent leur chance d’être encore là. La violence de l’attentat fait que leurs petits problèmes d’avant n’ont ensuite plus aucune importance. Mais cet appétit pour la vie n’est généralement pas monocorde, car on ne se remet jamais complètement d’un attentat.

* 13, Zineb El Rhazoui, Ring, 18 euros.