Déchéance de la nationalité: Pourquoi son inscription dans la Constitution ne verra pas le jour
POLITIQUE•Après un nouveau vote au Sénat, l'inscription du principe de la déchéance de nationalité dans la Constitution devrait bientôt être abandonnée…Anne-Laëtitia Béraud
Une déconfiture pour l’exécutif. Le Sénat, à majorité de droite, a voté jeudi un amendement au projet de révision constitutionnelle limitant la déchéance de nationalité aux seuls binationaux coupables d’actes terroristes. Ce vote, contre l’avis du gouvernement, va à l’opposé de celui des députés, qui avaient choisi le 10 février d’ouvrir cette déchéance de nationalité à tous les Français.
Avec ce nouveau vote de la Haute assemblée, l’inscription du principe de la déchéance de nationalité dans la Constitution semble irréalisable. En effet, dans le cas d’un projet de révision de la Constitution, l’Assemblée et le Sénat doivent adopter un texte aux termes identiques, selon l’article 89 de la Constitution. Celui-ci arrive ensuite devant les parlementaires réunis en Congrès à Versailles, avant de pouvoir être entériné par une majorité des trois cinquièmes des élus.
Positions irréconciliables des deux chambres
« Dans l’absolu, il pourrait avoir une navette infinie entre l’Assemblée nationale et le Sénat qui ne sont pas d’accord sur ce texte », commente Michel Lascombe, docteur en droit public, professeur à l’Institut d’études politiques de Lille. Le juriste détaille trois possibilités face à cette situation. « Le Premier ministre peut inviter les présidents des deux chambres à un déjeuner républicain qui ferait office de commission mixte paritaire officieuse. Cela s’est déjà fait sous Edouard Balladur », explique le professeur. « On peut ensuite imaginer un retrait du texte, ou encore une dissociation de ce texte décidée par le président de la République avant un nouveau vote par les deux assemblées. »
La première solution évoquée par le professeur de droit semble avoir été choisie par Manuel Valls. Le Premier ministre a annoncé vouloir une rencontre entre les présidents des deux chambres, le président de la République et lui-même pour « avancer ensemble ». Mais, selon Michel Lascombe, « une issue politique favorable à une telle rencontre semble aujourd’hui peu probable ».
La tenue d’un Congrès amputé de la déchéance
Pour l’exécutif,secoué par les divisions à gauche sur ce texte et marqué par la récente démission de Christiane Taubira, le coup est dur. Cependant, la tenue d’un Congrès amputé resterait d’actualité. La révision constitutionnelle pourrait être présentée en Congrès avec le seul article sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence, relève le professeur Michel Lascombe.
« On peut tout à fait imaginer d’aller à Versailles sans la déchéance. L’article 1 et la constitutionnalisation de l’état d’urgence, ce n’est pas tout à fait rien quand même », a justifié auprès de l’AFP un haut responsable socialiste. Selon lui, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, qui doit encore être débattue à l’Assemblée nationale le 5 avril, pourrait d’ailleurs être ajoutée au texte soumis aux parlementaires.
Autre possibilité pour François Hollande : la tenue d’un référendum sur la déchéance de nationalité. Mais le risque d’échec serait gros pour le président de la République, car les référendums français se terminent souvent par un « non ». Une option redoutée par le chef de l’Etat, qui, selon Le Canard enchaîné, aurait estimé fin décembre : « Comme dans tout référendum, le débat médiatique se focaliserait sur le non. Ceux qui sont d’accord ne se mobiliseraient pas pour la réforme et ceux qui sont contre la réforme et contre le président se mobiliseraient. Donc c’est très dangereux. » L’urgence est donc aujourd’hui, pour l’exécutif, de passer rapidement à autre chose.