Discriminations: Soraya, Ali et Audrey peinent à trouver du travail à cause de leurs origines
EXCLUSIF•Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, lance, ce lundi, une enquête en ligne pour lutter contre les discriminations à l'emploi...Vincent Vanthighem
«Origine ». « Couleur de peau ». « Prénom ». « Religion ». Et il est malheureusement possible de cocher plusieurs cases… Jacques Toubon, le Défenseur des droits, lance, ce lundi, une enquête en ligne* afin de lutter contre les discriminations dans l’accès à l’emploi et aux stages. « Le but est d’abord de recueillir un maximum de témoignages, confie Slimane Laoufi, chef du pôle Emploi privé pour le Défenseur des droits. Et surtout que les victimes nous saisissent pour pouvoir résoudre leurs problèmes. »
Sur les 4.846 dossiers de discriminations traités l’an dernier par le Défenseur des droits, 150 seulement portaient spécifiquement sur la question de l’accès au travail. Car la majorité des victimes hésitent à en parler. « Surtout les jeunes diplômés car ils ont peur d’être ensuite cramés pour retrouver du travail », poursuit Slimane Laoufi.
Illustration avec les jeunes contactés par 20 Minutes (lire ci-dessous). Ils n’ont accepté de raconter leurs histoires qu’à la stricte condition que leurs prénoms soient changés. « Il est temps que les hommes s’unissent pour lutter contre la haine de l’autre », martèle souvent Jacques Toubon. Le questionnaire doit servir de base à un rapport contenant des propositions, prévu fin 2016. « Et s’il faut modifier la loi, nous le proposerons », conclut Slimane Laoufi.
- Soraya, 25 ans : « Ça m’a tellement saoulée que je suis rentrée au Maroc… »
Elle a fini par s’inscrire en doctorat… à Marrakech. En novembre 2015, Soraya, 25 ans, a décidé de rentrer au Maroc, faute d’avoir trouvé un emploi en France. « Ce n’est pas une question de compétences. Je dispose d’un Master en "Conduites de projets touristiques et culturels". Mais on ne m’a pas donné ma chance en tant que profil… » Son nom de famille n’a pas aidé.
« On a souvent postulé aux mêmes offres avec une copine. J’ai un meilleur CV qu’elle avec beaucoup de stages notamment. Mais on ne me rappelait jamais, contrairement à elle. » Et quand le téléphone se mettait enfin à sonner, c’est un autre problème qui surgissait alors pour la jeune femme. « Sitôt que je précisais ma nationalité marocaine, on m’expliquait que l’entreprise ne pouvait pas embaucher des étrangers. Ça m’a tellement saoulée que je suis rentrée au Maroc… »
- Ali : « Mon employeur a francisé mon nom pour rassurer les clients »
C’est un hôtel « trois étoiles » comme il en existe des dizaines à Paris. Ali, 42 ans, pensait pouvoir enfin s’y stabiliser quand les propriétaires l’ont embauché, à l’été 2015, comme réceptionniste. « Mais, le premier jour, ils ont francisé mon nom dans l’adresse e-mail sans me prévenir, lâche-t-il. Quand j’ai demandé des explications, on m’a indiqué que, vu le contexte, les clients avec qui je devais correspondre avaient besoin d’être rassurés… »
Une réflexion d’autant plus saugrenue que Pablo, son collègue vénézuélien, n’avait, lui, pas le droit au même traitement. « Je suis donc devenu Alain ! Je me suis écrasé parce que j’avais besoin de ce boulot. Mais finalement, au bout de deux mois de période d’essai, j’ai été viré… » Ce Franco-tunisien a donc saisi le Défenseur des droits pour obtenir réparation. « Mais en attendant, je suis toujours au chômage. »
- Audrey : « On m’a reproché d’être étrangère »
Après dix-huit mois de petits contrats, elle pensait enfin avoir décroché le CDI de ses rêves. Titulaire d’un Master en biologie, Audrey était aux anges quand ce laboratoire international lui avait fait une promesse d’embauche, en décembre 2015. « J’ai passé plusieurs entretiens, en anglais et en français », raconte cette Camerounaise de 30 ans. Lors des échanges, Audrey avait bien précisé qu’elle n’était pas française et qu’il faudrait prévenir la préfecture de son embauche.
« Le premier jour, je l’ai rappelé à ma manager, raconte-t-elle. Le lendemain, j’ai été convoquée. On m’a dit que ma période d’essai était rompue. On m’a reproché d’être étrangère… » Et cela n’avait rien à voir avec les frais de dossier à honorer auprès de la préfecture. « Le poste était rémunéré 88.000 euros par an, poursuit Audrey. J’ai même proposé de payer. Ce n’était pas ça, le problème. »
* http://www.defenseurdesdroits.fr/
* Les prénoms ont été changés