«Expulsions, la honte», un documentaire de France 2 raconte le traumatisme de ceux qui ont perdu leur toit
TELEVISION•Par le biais de 10 témoins, ce film montre que l’expulsion locative est un processus de désocialisation...Delphine Bancaud
Ça n’arrive pas qu’aux autres. C’est la pensée qui vous traverse après avoir vu Expulsions la honte,* le documentaire qui sera diffusé France 2 ce mardi, en deuxième partie de soirée et dont 20 Minutes est partenaire. Car la réalisatrice, Karine Dusfour, qui se qualifie comme « une militante de l’intime », s’est employée à déconstruire tous les clichés qui peuvent courir sur les personnes victimes d’une expulsion locative. « Les expulsés ne sont pas des assistés, ni des profiteurs. Ils sont condamnés par la justice. Pourtant ils sont aussi des victimes », déclare-t-elle, en rappelant que chaque jour, du 1er avril au 31 octobre, près de 60 ménages sont expulsés de leur logement. Et qu’en 15 ans, les procédures d’expulsions ont augmenté de 50 %.
Elle a donc choisi de donner la parole à 10 personnes, issues de laclasse moyenne, qui ont connu un accident de la vie, puis la dégringolade sociale. C’est le cas de Paulo et Magali, expulsés de leur logement avec leurs jumeaux de 9 ans. Le couple (elle préparatrice en pharmacie et lui plombier) gagnait bien sa vie. Jusqu’à ce que Paulo se mette à son compte et que ses revenus plongent, rendant le paiement du loyer impossible. Idem pour Frédéric, qui a connu cette spirale infernale après que son entreprise d’électricité a déposé le bilan. Valérie, 50 ans, est aussi passée d’une vie ordinaire à une vie d’errance, à la suite d’un accident du travail. « D’un jour à l’autre, on peut se retrouver à la rue », commente sa fille de 16 ans, Marissanne.
Le souvenir douloureux du jour où ils ont perdu leur toit
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’âge n’est pas un rempart contre l’expulsion. La preuve avec Adèle, 68 ans, retraitée, qui à la mort de son mari n’a plus eu les moyens de payer le loyer de l’appartement qu’elle occupait depuis 20 ans. Pourtant, elle a travaillé jusqu’à 67 ans pour repousser les ennuis financiers au maximum. Même détresse pour Yves, retraité de 71 ans, dont la pension est trop faible pour assumer un loyer parisien et qui a fini par être expulsé de son logement.
Filmés avec sobriété dans un appartement vide et désolé, tous racontent le traumatisme vécu le jour de l’expulsion. « Ils sont rentrés et ils ont fait ça devant les petits, ça les a choqués », raconte Magali. « On vous sort par la force, on est jetés à la rue », enrage Valérie. « J’ai vu tout ce qui me restait partir », témoigne aussi Frédéric. Sylviane, elle, n’a pas assisté à l’arrivée de l’huissier et du camion de déménagement, mais c’est presque pire : « Quand j’ai voulu rentrer chez moi, je n’ai pas pu. Je n’avais pas d’affaires de toilettes, pas de vêtement de rechange, plus rien », explique-t-elle.
Un fort sentiment de culpabilité
Ils confient aussi le sentiment de honte de ne pas avoir réussi à conserver un logement. « On a presque l’impression qu’on a commis un crime juste parce qu’on n’arrive pas à payer son loyer », estime Frédéric, qui s’est replié sur lui, au point de refuser l’aide de sa famille. « L’expulsion, c’est un assassinat, on ne s’en relève pas », déclare de son côté Anna. Sylviane confie d’ailleurs avoir eu des pensées suicidaires : « J’ai eu envie de me pendre ». « Un toit c’est la dignité », résume Valérie qui raconte aussi la « désertification de son réseau social », avant et après son expulsion.
Avec pudeur, le documentaire s’attache aussi à décrire lles conditions très précaires dans lesquels les expulsés vivent ensuite, après avoir fait le deuil de leurs affaires. Frédéric a connu les nuits dans sa voiture, Paulo, Magali et leurs enfants ont été ballottés chez plusieurs membres de leur famille, avant de trouver une place dans un centre d’hébergement social. « On vit dans 26 m2 à 4. On est vite oppressé », confie Paulo. Sylviane, hébergée par un ami se qualifie quant à elle, de « SDF de luxe ». De son côté, Yves, à 71 ans, confie dormir à l’hôtel, dans sa voiture, parfois dans une gare ou un aéroport.
Leur situation ne s’est pas améliorée après le tournage
Pourtant, tous ont fait des demandes de logements sociaux et certains ont été même reconnusprioritaires Dalo. « J’ai écrit à sept maires différents », indique Zakaria, qui vit avec sa famille dans un deux-pièces insalubre. Mais il n’a obtenu aucune proposition. Tout comme Yves qui désespère : « Je risque d’être décédé avant d’obtenir un logement social ». Tous butent sur l’insuffisance du parc public. Le documentaire se voulant clairement engagé, la voix de la réalisatrice souligne qu'« une ville sur trois est hors la loi » concernant son obligation de construire 20 % de HLM.
Ce film bouleversant a demandé six mois de préparation à la réalisatrice pour trouver les témoins (via des associations, des militants et des avocats) et les mettre en confiance. « J’ai découvert une réalité à peine croyable car on n’imagine pas la vie qu’ils avaient avant », explique-t-elle à 20 Minutes. Si la plupart des témoins avaient tendance à cacher leur situation à leur entourage auparavant, le fait de témoigner leur a permis de trouver une forme d’apaisement : « Ma parole s’est libérée, cela m’a permis de rompre avec le sentiment de culpabilité qui m’habitait », nous confie Ana. « C’est la rage qui est née de ce qui m’est arrivé qui m’a poussé à témoigner. Je voulais que le grand public connaisse la vérité de nos situations », explique de son côté Yves.
Depuis le tournage, la situation ne s'est malheureusement pas arrangée « Seul point positif : Frédéric a retrouvé du boulot », informe Karine Dusfour. « Mais j’espère que la diffusion du documentaire sur France 2 aura un impact positif sur eux », lance-t-elle. Nous aussi.
*Le documentaire est produit par Morgane Production. Il sera diffusé dans la case Infrarouge à 23h10 et disponible 30 jours en replay sur pluzz.
En partenariat avec France 2