Les chiffres de la violence policière, un secret bien gardé
SECURITE•L’association Acat publie à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences policières un rapport dénonçant l’opacité sur les chiffres officiels…Florence Floux
«Ça nous a demandé dix-huit mois à temps plein, pendant lesquels nous avons fait beaucoup de recherches et de recoupements d’informations. On peut dire que ça a été fastidieux. » Aline Daillère, auteure du rapport de l’Acat ( Action chrétienne pour l’abolition de la torture) publié à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences policières qui se tient ce mardi 15 mars, a passé du temps à essayer de les comptabiliser en France. Une gageure, puisqu’il n’existe aucun chiffre officiel du ministère de l’Intérieur sur le sujet.
« Je confirme qu’il n’y a aucune transparence de la part du ministère, estime Christian Mouhanna, chercheur au CNRS spécialiste de la police. Ce qui est paradoxal, car l’IGPN (Inspection générale de la Police nationale) a fait de gros efforts dernièrement pour mieux contrôler les policiers. »
Plus de transparence à l’étranger
Alors que d’autres pays comme l’Angleterre ou les Etats-Unis, communiquent depuis longtemps sur les chiffres de l’utilisation de la force par leurs agents de la paix, la France ne semble pas prête à leur enboîter le pas. Pourquoi ?
« Pour nous, il n’existe aucune explication rationnelle à l’absence de ces chiffres. En France, nous avons des tas de données sur tout, il est impossible de penser qu’on n’en ait pas sur cette question », estime Aline Daillère. Si Christian Mouhanna y voit une certaine tradition au mutisme propre à toute la fonction publique, il émet aussi une autre hypothèse.
« Le gouvernement s’appuie de façon très forte sur sa police, dont les syndicats sont très puissants. Ça ne pousse pas à demander des comptes aux policiers », avance Christian Mouhanna. D’autant plus que la publication de ces chiffres, « qui doivent exister en interne au ministère de l’Intérieur », pourrait mettre en lumière certaines dérives « que le gouvernement lui-même initie », poursuit le chercheur.
« C’est un choix politique »
« Si certains chiffres ne sont pas divulgués, c’est que ça doit arranger certains. C’est un choix politique, car la publication de ces données n’inquiète pas les policiers. Nous sommes les fonctionnaires les plus contrôlés alors que nous ne représentons que 7 % de la fonction publique », note Fabien Vanhemelryck, secrétaire général délégué du syndicat de police Alliance.
Dans un contexte post-attentats où l’exécutif se repose plus que jamais sur ses forces de l’ordre, cette absence de communication peut-elle avoir des répercutions ? « S’il n’y a pas de transparence officielle, elle se fera par d’autres moyens. Aujourd’hui, tout le monde a un smartphone et peut filmer et diffuser des vidéos sur Internet », s’inquiète Christian Mouhanna. De quoi peut-être détériorer l’image positive dont jouissent aujourd’hui les policiers, avec 82 % d’opinion favorable.